50 ans d'innovations
au service des grands programmes

Le Triomphant,
le sous-marin nucléaire lanceur d’engins

Les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) du type Le Triomphant constituent la principale composante de la dissuasion nucléaire, depuis le retrait du service du dernier SNLE type Le Redoutable M4 (le sigle M4 faisant référence au nom des missiles stratégiques embarqués sur ces sous-marins dans la dernière partie de leur vie opérationnelle). SNLE de deuxième génération, les sous-marins du type Le Triomphant ont également été appelés SNLE NG (de nouvelle génération) : c’est par ce sigle qu’ils seront fréquemment désignés dans ce qui suit.

Le Triomphant, premier SNLE NG, a été admis au service actif en 1997, suivi fin 1999 par Le Téméraire, en 2004 par Le Vigilant, et en 2008 par Le Terrible. Tandis que les trois premiers étaient, à leur entrée en service, équipés du missile M45, version améliorée du missile M4, Le Terrible, quatrième de la série, sera le premier SNLE NG équipé dès l’origine d’un nouveau missile, le M51, à la portée très significativement accrue par rapport à celle de son prédécesseur, le M4/M45.

Les trois autres sous-marins du type ont subi successivement, entre 2011 et 2018, une refonte à mi-vie leur permettant, notamment, de mettre en œuvre à leur tour le missile M51.

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Contrairement à la situation dans laquelle elles se trouvaient une vingtaine d’année auparavant au moment d’entreprendre les études du Redoutable, la Direction des constructions navales (DCN), composante de la Délégation générale pour l’armement[1] dédiée aux armements navals, et l’industrie française ne partaient pas d’une feuille totalement blanche en abordant, dans les premières années de la décennie 1980, celles du Triomphant. Il n’en demeure pas moins que les objectifs extrêmement élevés fixés d’emblée pour les performances du Triomphant ont fait incontestablement du programme des SNLE NG, l’un des plus ambitieux et des plus complexes jamais réalisés en France à ce jour.

Depuis le départ du Redoutable pour sa première patrouille au début de 1972, la permanence à la mer d’au moins un SNLE a été assurée sans aucune discontinuité par la Marine nationale, tandis qu’un SNLE du type Le Triomphant effectuait à l’été 2018 la 500e patrouille d’un SNLE français. Ces deux constats illustrent la capacité de nos forces sous-marines à garantir sur la durée la permanence de la composante maritime de notre outil de dissuasion nucléaire. Seules quatre nations dans le Monde, toutes membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU,  peuvent se targuer aujourd’hui d’une telle capacité (il s’agit, bien entendu, des Etats-Unis, de la Russie, de la Grande Bretagne et de la France).

Les études des SNLE de troisième génération (en abrégé, SNLE 3G) sont d’ores et déjà engagées et le début de la construction du premier exemplaire de la série, dans l’établissement de Cherbourg de Naval Group, est planifié pour 2023.

[1] Composante du ministère de la Défense, connue aujourd’hui sous l’appellation de Direction générale de l’armement.

Tirs d’essai, à partir d’un SNLE en immersion, d’une maquette inerte de missile balistique (vue de gauche) et d’un missile réel (vue de droite)

Tirs d’essai, à partir d’un SNLE en immersion, d’une maquette inerte de missile balistique (vue de gauche) et d’un missile réel (vue de droite)

Lors de la campagne d’essais à la mer du Triomphant, la DGA a organisé des tirs sur polygone de maquettes dites « inertes » (c’est-à-dire sans propulsion) de missile. On aperçoit sur la vue de gauche, émergeant hors de l’eau, l’extrémité supérieure du mât de liaison de champ de tir provisoirement fixé sur le SNLE. C’est ce qui  permet aux systèmes de trajectographie à terre ou en mer de localiser précisément celui-ci au moment du tir.

Poste de pilotage

Poste de pilotage

Les SNLE de type Le Triomphant se caractérisent par une automatisation poussée des installations de bord. Ainsi un barreur unique peut assurer les fonctions occupées précédemment par quatre personnes. Le mode pilotage automatique devient le mode normal de croisière, grâce à une architecture basée sur trois unités de calcul indépendantes et redondantes. Les premiers écrans plats font leur apparition. L’effectif de l’équipage d’un SNLE NG est réduit de 20 % par rapport à celui de l’équipage des SNLE type Le Redoutable, alors que le déplacement du SNLE NG est de près de 50 % supérieur à celui de son prédécesseur.

300 km de câbles électriques et 50 km de tuyaux

300 km de câbles électriques et 50 km de tuyaux

Module de détection sous-marine à l’intérieur du poste de commandement-navigation-opérations (PCNO)

Module de détection sous-marine à l’intérieur du poste de commandement-navigation-opérations (PCNO)

Afin de garantir son invulnérabilité, un SNLE doit éviter toute manifestation  induisant un risque de détection par des moyens adverses. Pour cela, le SNLE se base principalement sur son avantage acoustique, qui lui permet de détecter tout mouvement dans l’eau avant que lui-même, grâce à son extrême discrétion, coure le risque d’être détecté.

Partie arrière avec le propulseur

Partie arrière avec le propulseur

Une performance essentielle pour tout sous-marin, et plus particulièrement  pour un SNLE, est sa discrétion acoustique. Les SNLE type Le Triomphant représentent, de ce point de vue, comme dans d’autres, un saut technologique considérable par rapport à la génération précédente et par rapport à la plupart des sous-marins en service dans le monde. Une des innovations développées pour ce type de bâtiment est un propulseur totalement nouveau, appelé pompe-hélice, dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une turbine et s’avère particulièrement silencieux (les détails ultraconfidentiels en sont masqués sur la photo).

Essais de déformation d’une suspension élastique

Essais de déformation d’une suspension élastique

Les suspensions élastiques de chaque équipement doivent être dimensionnées de façon à filtrer les éventuelles fréquences de vibration propres à cet équipement, tout en respectant de fortes contraintes de débattement, de chargement, de tenue aux conditions d’environnement (température, humidité, mouvements du navire, etc.) et être capables de résister à un choc résultant d’une explosion sous-marine. DCN et la société Techlam ont développé une gamme de liaisons flexibles sous forme de plots lamifiés multicouche.

Sous-marin Dauphin au bassin. Montage d’un dôme sonar en matériaux composites

Sous-marin Dauphin au bassin. Montage d’un dôme sonar en matériaux composites

Le sous-marin Dauphin, de type Narval, a été mis à disposition du programme SNLE NG par la Marine nationale pour réaliser des essais sur les nouvelles technologies en matière de détection sous-marine et de réduction de bruit sur les antennes (opération SISYPHE : Sous-marin Installé en Système Pour l'Hydroacoustique Expérimentale). Environ 60 % de la surface extérieure d’un SNLE NG est en matériaux composites.

  • Tirs d’essai, à partir d’un SNLE en immersion, d’une maquette inerte de missile balistique (vue de gauche) et d’un missile réel (vue de droite)

    Tirs d’essai, à partir d’un SNLE en immersion, d’une maquette inerte de missile balistique (vue de gauche) et d’un missile réel (vue de droite)

    Lors de la campagne d’essais à la mer du Triomphant, la DGA a organisé des tirs sur polygone de maquettes dites « inertes » (c’est-à-dire sans propulsion) de missile. On aperçoit sur la vue de gauche, émergeant hors de l’eau, l’extrémité supérieure du mât de liaison de champ de tir provisoirement fixé sur le SNLE. C’est ce qui  permet aux systèmes de trajectographie à terre ou en mer de localiser précisément celui-ci au moment du tir.

  • Poste de pilotage

    Poste de pilotage

    Les SNLE de type Le Triomphant se caractérisent par une automatisation poussée des installations de bord. Ainsi un barreur unique peut assurer les fonctions occupées précédemment par quatre personnes. Le mode pilotage automatique devient le mode normal de croisière, grâce à une architecture basée sur trois unités de calcul indépendantes et redondantes. Les premiers écrans plats font leur apparition. L’effectif de l’équipage d’un SNLE NG est réduit de 20 % par rapport à celui de l’équipage des SNLE type Le Redoutable, alors que le déplacement du SNLE NG est de près de 50 % supérieur à celui de son prédécesseur.

  • 300 km de câbles électriques et 50 km de tuyaux

    300 km de câbles électriques et 50 km de tuyaux

  • Module de détection sous-marine à l’intérieur du poste de commandement-navigation-opérations (PCNO)

    Module de détection sous-marine à l’intérieur du poste de commandement-navigation-opérations (PCNO)

    Afin de garantir son invulnérabilité, un SNLE doit éviter toute manifestation  induisant un risque de détection par des moyens adverses. Pour cela, le SNLE se base principalement sur son avantage acoustique, qui lui permet de détecter tout mouvement dans l’eau avant que lui-même, grâce à son extrême discrétion, coure le risque d’être détecté.

  • Partie arrière avec le propulseur

    Partie arrière avec le propulseur

    Une performance essentielle pour tout sous-marin, et plus particulièrement  pour un SNLE, est sa discrétion acoustique. Les SNLE type Le Triomphant représentent, de ce point de vue, comme dans d’autres, un saut technologique considérable par rapport à la génération précédente et par rapport à la plupart des sous-marins en service dans le monde. Une des innovations développées pour ce type de bâtiment est un propulseur totalement nouveau, appelé pompe-hélice, dont le fonctionnement s’apparente à celui d’une turbine et s’avère particulièrement silencieux (les détails ultraconfidentiels en sont masqués sur la photo).

  • Essais de déformation d’une suspension élastique

    Essais de déformation d’une suspension élastique

    Les suspensions élastiques de chaque équipement doivent être dimensionnées de façon à filtrer les éventuelles fréquences de vibration propres à cet équipement, tout en respectant de fortes contraintes de débattement, de chargement, de tenue aux conditions d’environnement (température, humidité, mouvements du navire, etc.) et être capables de résister à un choc résultant d’une explosion sous-marine. DCN et la société Techlam ont développé une gamme de liaisons flexibles sous forme de plots lamifiés multicouche.

  • Sous-marin Dauphin au bassin. Montage d’un dôme sonar en matériaux composites

    Sous-marin Dauphin au bassin. Montage d’un dôme sonar en matériaux composites

    Le sous-marin Dauphin, de type Narval, a été mis à disposition du programme SNLE NG par la Marine nationale pour réaliser des essais sur les nouvelles technologies en matière de détection sous-marine et de réduction de bruit sur les antennes (opération SISYPHE : Sous-marin Installé en Système Pour l'Hydroacoustique Expérimentale). Environ 60 % de la surface extérieure d’un SNLE NG est en matériaux composites.

    Petit historique et grandes dates

    A la fin des années 1970, quatre sous-marins de type Le Redoutable se relaient en mer en permanence, équipés de missiles M20. Un cinquième est en achèvement  (Le Tonnant, entré en service en 1980) et le président Giscard d’Estaing a décidé la construction d’un sixième exemplaire, qui sera équipé d’emblée d’un nouveau missile, capable d’une portée nettement accrue par rapport à celle du M20  et doté de têtes multiples, le M4 (L’Inflexible, qui entrera en service en 1985).

    Cependant, les techniques de détection sous-marine font des progrès considérables, permettant de capter des signaux à des fréquences de plus en plus basses et d’étendre, ainsi,  à plusieurs dizaines de kilomètres les distances potentielles de détection des sous-marins. On craint également que de nouvelles découvertes scientifiques ne permettent à terme de détecter les sous-marins en plongée depuis l’espace. Par ailleurs, avec le M4, les sous-marins de première génération ont atteint leurs limites de capacité d’emport et ne pourront pas être adaptés aux évolutions ultérieures des missiles stratégiques (génération M5), déjà à l’étude.

    Aussi, à l’automne 1981, un Conseil de défense présidé par le Président nouvellement élu, François Mitterrand, décide la construction d’une nouvelle génération de SNLE, dont le premier exemplaire sera appelé à entrer en service au milieu de la décennie 1990 et qui devront représenter un saut qualitatif et quantitatif majeur aussi bien dans le domaine de la détection que dans celui de la discrétion. Il sera significativement plus gros que ses prédécesseurs, afin d’accueillir le moment venu les missiles du futur, et sera capable de plonger plus profondément. Afin d’augmenter la disponibilité de la flotte - qui sera in fine réduite de six à quatre sous-marins - et d’économiser un carénage (on parle de périodes d’indisponibilité pour entretien et réparations ou IPER) sur la vie du bâtiment, l’intervalle entre IPER sera augmenté de 50 % par rapport à la pratique de la  génération précédente. Les dates marquantes du  développement et de la construction du Triomphant seront les suivantes :

    • 1981
      Décision du Conseil de Défense sous la présidence de François Mitterrand
    • 1983
      Première ébauche de programme militaire
    • 1986
      Première version du programme militaire - première rédaction de spécification d’ensemble. Découpe de la première tôle dans le chantier Laubeuf de la DCAN Cherbourg
    • 1987
      Édition de la spécification d’ensemble des SNLE Type Q 272
    • 1994
      Mise à l’eau
    • 1997
      Admission au service actif

    Principales innovations

    • Un nouvel acier de coque : Afin de pouvoir plonger plus profondément que ses prédécesseurs, tout en conservant à peu de choses près un rapport inchangé entre la masse de la coque résistante et le déplacement en plongée du sous-marin (condition nécessaire à l’équilibre du projet), il est nécessaire de développer un nouvel acier à très haute limite élastique. L’étude de cet acier, par la Direction des constructions navales, s’appuyant sur l’aciériste Creusot-Loire Industrie, a été entreprise dès la fin des années soixante. Le pari sera pris en 1981 de retenir ce nouvel acier, baptisé 100 HLES, pour la construction des SNLE NG. Cependant il soulève des difficultés importantes de formage et de soudage et nécessite, pour son industrialisation, la mise au point d’outillages complexes, faisant notamment appel, dès cette époque, à des robots, et de leurs procédures, très rigoureuses,  de mise en œuvre. Le fait que son équivalent américain, le HY 130, qui visait un niveau de performance comparable, n’ait, finalement jamais été utilisé industriellement, est là pour montrer que ce n’était pas une entreprise aisée.

    • Un nouveau propulseur : Au début des années 1980, les britanniques expérimentent sur l’un de leurs sous-marins nucléaires d’attaque un nouveau type de propulseur qu’ils appellent « pump-jet ». En France, un dispositif comparable, nommé pompe-hélice, est étudié pour les nouvelles torpilles légères, alors en développement (entrées en service depuis sous l’appellation de MU 90). En 1985 la décision sera prise d’étudier un propulseur de ce type pour Le Triomphant et un premier prototype sera testé sur un sous-marin à propulsion classique, le sous-marin La Praya, en 1987.  Aujourd’hui, tous les sous-marins nucléaires français, britanniques et américains sont équipés de pompes-hélices.

    • La discrétion acoustique : L’objectif assigné aux concepteurs du Triomphant était de réduire d’un facteur 1000 la puissance acoustique rayonnée par le bâtiment, par rapport à ce qui avait été obtenu sur les SNLE de la première génération : pour illustrer concrètement la chose, il faut savoir que cela représente à peu près le même rapport que celui existant entre la puissance acoustique d’un hélicoptère et celle d’une voiture automobile à essence.

    • Le réacteur nucléaire : Une nouvelle génération de réacteur compact, baptisé K15, de puissance supérieure à celle des réacteurs embarqués sur les types de sous-marins nucléaires français  déjà en service et capable d’un fonctionnement particulièrement discret aux faibles allures, sera développée sous la responsabilité du Commissariat à l’Énergie Atomique par la société Technicatome, à la fois pour Le Triomphant (qui sera équipé d’un seul réacteur type K15) et pour le porte-avions Charles de Gaulle (qui en comportera deux). Les principales innovations du réacteur K15, seront testées sur un réacteur d’essais représentatif, le RNG (Réacteur de nouvelle génération) installé au Centre d’Études Nucléaires de Cadarache du Commissariat à l’Énergie Atomique.

      La situation de la propulsion nucléaire en France en 2018

    • Le SAD : Le système d’Armes-Dissuasion d’un SNLE est constitué de l’ensemble des installations du bord concourant au stockage dans les meilleures conditions de sécurité et, si nécessaire,  au lancement des missiles balistiques,  des missiles eux-mêmes, y compris les têtes nucléaires dont ils sont dotés. Il inclut les systèmes de contrôle-commande et de sécurité de ces installations et toutes les interfaces fonctionnelles avec les autres systèmes du bord fournissant les alimentations et les servitudes. Il occupe environ un tiers du volume intérieur du sous-marin. Le SAD du Triomphant est radicalement nouveau par rapport à celui de ses prédécesseurs ; il a par ailleurs été conçu pour pouvoir s’adapter aux évolutions prévisibles   des caractéristiques, dimensionnelles notamment, des missiles MSBS sur la durée de vie de ce type de sous-marin.

    • Le mode de construction : Jusqu’au Triomphant, les sous-marins étaient assemblés sur une cale inclinée pour pouvoir ensuite être « lancés » à la mer. Avec Le Triomphant est inaugurée la construction modulaire par « sections ». Elle consiste à maintenir le plus longtemps possible les « tranches », ou « sections », du sous-marin en atelier et, profitant des bonnes conditions d’accessibilité permises par cette situation, à monter à leur emplacement définitif le maximum des équipements de toutes natures que ces sections sont appelées à recevoir. Les « sections », ainsi pré-équipées, sont ensuite transférées vers le hall d’assemblage pour y être jonctionnées par soudage, complètement équipées, ou presque, et à l’horizontale, avec les « sections » adjacentes de la coque. Ces techniques de pré-équipement se traduisent, bien évidemment par des gains de productivité non négligeables. Déjà pratiquées de longue date dans la construction navale civile (si ce n’est qu’on y parle de « blocs » et non de « sections ») et militaires (s’agissant de navires de surface), elles ont été, pour la première fois adaptées à la construction de sous-marins avec le programme des SNLE NG type Le Triomphant.

    • Le sonar et le système d’armes tactiques SET/SYCOBS : un SNLE ne doit pas être détecté, il doit donc être discret, mais il doit aussi détecter les menaces potentielles et manœuvrer pour les éviter, d’où l’importance donnée à son système de détection (sonars) et d’évaluation de la situation tactique (SET). Le saut par rapport aux systèmes précédents est considérable, le nombre d’hydrophones (les composantes élémentaires des antennes sonar) a été multiplié par environ 100, la puissance de calcul (traitement du signal) par plus encore. Le plus novateur : des antennes de plusieurs dizaines de mètres carré s’étendant latéralement sur une grande partie de chaque côté de la coque épaisse. Ces antennes permettent la détection, mais aussia mesure de la courbure du front d’onde incident et donc de déterminer la distance du but tout en restant discret. Bien sûr aussi des antennes linéaires remorquées très basses fréquences très utiles pour classifier les cibles grâce à l’analyse de leur bruit. Ces moyens sont complétés par le SET qui utilise des procédés très élaborés d’azimétrie passive. Pour la première fois sonar et SET partagent un pool de consoles de visualisation et de commande banalisées.

    Caractéristiques

    • Dimensions :
      Longueur : 138 mètres
      Largeur : 12,5 mètres
      Poids (Déplacement) : 14 200 tonnes en plongée
    • Propulsion principale :
      1 réacteur nucléaire de type K15 de 150 MW thermiques
      1 groupe turbo-réducteur de 30,5 MW
      une pompe hélice
    • Équipage :
      2 équipages de 111 marins (16 officiers, 85 officiers mariniers, 10 quartiers-maîtres et matelots)
    • Armement stratégique :
      16 missiles stratégiques M45 (à l’origine pour les trois premiers) ou M51 (à l’origine pour le quatrième et dernier et en « rétrofit » pour les trois premiers)
    • Armement d’autodéfense :
      4 tubes lance-torpilles de 533 mm, permettant le lancement de torpilles F17 ou de missiles à changement de milieu SM-39 EXOCET anti -navires de surface.
    • Équipement :
      1 radar
      1 sonar multifonction
      1 sonar remorqué d’écoute très basse fréquence
      1 système de transmissions par satellite
      1 système de direction de combat SET ou SYCOBS

    Témoignages

    Emmanuel Duval

    Emmanuel Duval

    Adjoint puis Maître d’œuvre Principal Cœlacanthe de 1983 à 1994

    La création de la force de frappe française[1], engagée dès la fin des années 50 « devait modeler pour longtemps des pans entiers de l’industrie française de défense et conduire à des...

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    Emmanuel Duval

    La création de la force de frappe française[1], engagée dès la fin des années 50 « devait modeler pour longtemps des pans entiers de l’industrie française de défense et conduire à des remises en cause profondes de l’organisation et des modes de fonctionnement du ministère de la Défense. C’est ainsi, en particulier, que la nécessité de mieux coordonner l’action des nombreux intervenants conduisit en 1961 à créer au sein du ministère la Délégation ministérielle pour l’Armement (DMA)[2], fédérant les directions techniques spécialisées jusqu’alors dispersées dans les différentes armées, dont le chef, le délégué ministériel pour l’armement, était placé en position de subordonné direct du ministre… Très vite après le début des travaux touchant à la composante navale de la force nucléaire stratégique, il apparut que la conception du sous-marin, celle du missile balistique et celle de la tête nucléaire étaient à ce point interdépendantes que l’on n’arriverait pas à des résultats satisfaisants à moins de faire en sorte que les responsables de ces différents systèmes travaillent eux-mêmes en étroite interconnexion.


    C’est la raison d’être de la création en 1962 de l’organisation Cœlacanthe[3], qui visait, au sein de l’État, à mettre en réseau ces responsables de manière à ce qu’ils puissent dialoguer directement entre eux, ce qui était relativement nouveau en ces temps d’organisations verticales. Le réseau réunissait à l’origine :

    • l’architecte du sous-marin, appartenant au service technique de la direction des constructions navales (DCN) de la DMA ;
    • l’architecte de la propulsion nucléaire, appartenant au département propulsion nucléaire du CEA (CEA/DPN) ;
    • le directeur de programme missile mer-sol balistique stratégique MSBS appartenant à la direction des engins (DEn) de la DMA ;
    • le directeur de programme tête nucléaire, appartenant à la direction des applications militaires du CEA (CEA/DAM) ;
    • l’officier de programme d’ensemble, officier général appartenant à l’état-major de la Marine, désigné sous l’appellation d’amiral Cœlacanthe ;
    • le directeur du programme SNLE, simultanément directeur de programme d’ensemble, désigné sous l’appellation de maître d’œuvre principal du projet Cœlacanthe (MOP Cœlacanthe), appartenant à la DCN.

    L’amiral et le MOP Cœlacanthe, animaient en tandem cette organisation, le premier rapportant au chef d’état-major de la Marine, le second respectivement au délégué ministériel pour l’armement ou au directeur de la DCN suivant qu’il s’agissait du programme d’ensemble ou du programme SNLE. Tous les acteurs de l’époque ont unanimement souligné, chaque fois qu’ils ont eu l’occasion de porter témoignage sur cette période, à quel point ce mode de fonctionnement a constitué une contribution non négligeable au succès final. »

    Cette organisation, la première organisation de programme intégrée a été pérennisée après l’achèvement du Redoutable. Chargé de la réalisation des générations successives de navires, chaufferies nucléaires, missiles et armes nucléaires, elle assurera avec succès la direction de programme d’ensemble du programme de SNLE NG.

    [1] On parlerait plutôt aujourd’hui de « Force nucléaire stratégique ».
    [2] Délégation ministérielle pour l’armement, devenue en 1977 Délégation générale pour l’armement (DGA),  puis, en 2009, Direction générale de l’armement (DGA, également). Cette évolution dans les appellations a accompagné l’évolution dans les missions, marquée par le transfert progressif vers l’industrie des activités de production de matériels d’armement qu’exerçait encore l’État, via la DMA, dans les années 1960, pour ne conserver aujourd’hui que les activités de conduite des programmes d’armement, y compris la responsabilité des grands moyens d’études et d’essais qu’impliquent ces activités.
    [3]Du nom d’un poisson de l’océan Indien considéré comme un fossile vivant, car il a très peu évolué depuis 300 millions d’années. Pourquoi avoir choisi ce nom ? L’histoire ne le dit pas : peut-être est-ce pour son aspect massif, un peu mystérieux et, pour tout dire, vaguement menaçant, tous qualificatifs qui pourraient s’appliquer au SNLE !

    Gérald Boisrayon

    Gérald Boisrayon

    L’architecte et maître d’œuvre navire

    « Au moment de se lancer dans un programme qui comporte le niveau d'innovation stupéfiant imposé par les objectifs de la nouvelle génération de SNLE, avec aussi peu de références...

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    Gérald Boisrayon

    « Au moment de se lancer dans un programme qui comporte le niveau d'innovation stupéfiant imposé par les objectifs de la nouvelle génération de SNLE, avec aussi peu de références antérieures et de transfert d'informations venant de l'extérieur, l'architecte naval et son équipe sont saisis de vertige et d'angoisse. Vertige, car ils savent que le produit à concevoir aura un cycle de vie de cinquante ans, et que les plus grosses erreurs, les plus lourdes de conséquences et les plus difficiles à corriger, sont celles qui se commettent au début des études, dans la phase où se prennent toutes les grandes décisions d'architecture. Angoisse, qui n'est autre que celle de l'écrivain face à la page blanche, quand il faut écrire et que les idées ne se bousculent pas.

    Dans les activités à très haut degré d'innovation, il ne suffit pas d'avoir des idées; il faut aussi les mettre en œuvre et savoir passer du concept à la réalité concrète qui résistera à l'épreuve du service. Dans l'aventure du «Triomphant», beaucoup d'hommes ont apporté leur contribution à cette œuvre hors du commun. Aux yeux de l'architecte naval, il en est deux qui ont eu une influence déterminante dans le succès de cette entreprise: l'ingénieur en chef de l'armement Bénicourt, et l'ingénieur général de I'armement Barbery.

    En tant que chargé de mission « discrétion acoustique », Michel Bénicourt a fait preuve, dès le début des études, à la fois d'une imagination débridée et d'une grande rigueur scientifique. Il a apporté une contribution essentielle à la construction de la discrétion acoustique du Triomphant. Surtout, il a su créer, au sein de la direction des constructions navales, un véritable esprit «discrétion acoustique » et fédérer les talents et les efforts de tous les acteurs de ces techniques difficiles, pratiquement inexistantes dans l’industrie au niveau de performances qu’exigent les sous-marins.

    Les idées qui ont fini par se concrétiser au sein de l’équipe de conception, il fallait les mettre en œuvre. Pour cela il fallait des moyens matériels, dont la plupart n’existaient pas en Europe, et dont certains n’existaient même pas aux USA; moyens humains surtout car la base de l’innovation reste l'imagination des hommes. L’Ingénieur général Barbery, directeur des constructions navales à l’époque où se prenaient les décisions cruciales du programme a été le maître artisan de cette concrétisation. Avec une détermination sans faille, il a couvert les propositions de l’équipe de projet, et dégagé les moyens matériels et humains nécessaires à la bonne exécution du programme. Il fallait bien le poids et l'énergie du DCN pour faire aboutir les demandes de moyens, sans lesquels le programme n’aurait eu aucune chance de se faire. Ce fut un viatique extraordinaire pour l'architecte naval et le chargé de mission acoustique que de se savoir soutenus par la plus haute instance des constructions navales, viatique dont ils ont bien eu besoin en début de programme, alors que l’incrédulité et la critique fleurissaient plus facilement que les encouragements et les conseils utiles.

    En définitive, à travers quelques individualités remarquables, l’histoire du développement du Triomphant aura été une nouvelle illustration de ce qu’écrivait Alexis de Toqueville : « Si les français qui firent la Révolution étaient plus incrédules que nous en matière de religion, il leur restait au moins une croyance admirable : ils croyaient en eux-mêmes. » Il fallait pour cela une solide dose d’inconscience et une détermination inébranlable de l’équipe d’architecture. Cette détermination nous l’avons eue, nous avons réussi à la communiquer à tous les acteurs du programme, simplement parce qu’au-delà de notre inconscience, nous étions soutenus par nos patrons. C’est une grande vertu que de savoir faire confiance. »

    François Dupont

    François Dupont

    Le premier commandant

    « Dans la peau du Président » par l’amiral François Dupont, le premier commandant : Capitaine ! Euh ! Oui ! Capitaine, il est minuit moins le quart… Oui,...

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    François Dupont

    « Dans la peau du Président » par l’amiral François Dupont, le premier commandant :

    • Capitaine !
    • Euh ! Oui !
    • Capitaine, il est minuit moins le quart…
    • Oui, oui, merci.

    Arthur dort profondément. Dans son rêve l’alizé antillais caresse son visage, un souvenir inaltérable de ses premières années de marin.

    Mais Arthur n’est plus embarqué sur son patrouilleur et doit très vite recaler son GPS personnel ! Le SNLE Le Triomphant, en patrouille depuis trente jours, est en immersion profonde quelque part dans l’Atlantique et c’est à son tour de veiller, comme officier chef du quart, à la vie et à la sécurité de ce sous-marin de 14 000 tonnes, chargé jusqu’à la fin de l’année d’assurer la mission de dissuasion nucléaire.

    Arthur n’a que quelques mètres à franchir pour se retrouver dans le saint des saints du sous-marin, le poste central navigation opérations, le PCNO. Mais un détour par le carré des officiers s’impose pour un café bien noir, car Arthur n’a dormi que deux heures.

    Seul maître à bord

    Entrée dans le PCNO. Il fait noir, de multiples écrans sur lesquels se dessinent des courbes multicolores, des panneaux synoptiques et des dizaines de points lumineux. Et des hommes, debout ou assis. Attentifs et qui se parlent à voix basse. Arthur remarque très vite un voyant rouge sur le tableau sécurité-plongée. Et des échanges via l’interphone entre le poste de quart auxiliaires et le PCNO. Une panne ? Il va le savoir bientôt.

    Et puis là, dans le fond, l’oreille d’or, l’homme qui connait les signatures acoustiques de tous les bateaux du monde, casque sur les oreilles. Concentré. L’officier chef du quart est derrière lui. Ils semblent perplexes.

    • Bonjour tout le monde !
    • Bonjour Capitaine !
    • La nuit a été longue ? dit avec un malin plaisir le maître de central, l’homme clé de la sécurité en plongée.
    • Excellente mon cher Vincent !

    Arthur connait bien Vincent, un officier marinier supérieur, encore jeune mais qui totalise plus de 10 000 heures de plongée et au contact duquel il a beaucoup appris. Il y a près d’un mois maintenant qu’ils tournent ensemble et ils sont heureux de se retrouver pour ces quatre heures pendant lesquelles ils se sentiront propriétaires du bateau.

    A l’arrière, Denis, officier chef de quart machines est responsable du pilotage du réacteur nucléaire, des turbines, des turbo-alternateurs et de l’ensemble des auxiliaires indispensables à la vie et à la sécurité de ce sous-marin qui est à la fois une centrale nucléaire, une base de lancement de missiles et un petit bourg de 111 âmes. Un officier atomicien chevronné. Arthur et Denis se connaissent bien. Ils ne sont pas les meilleurs amis du monde mais, pendant les quatre heures qui viennent, les sentiments de l’un et de l’autre s’effaceront. Leurs responsabilités sont trop importantes.

    Dans chaque tranche du sous-marin, les relèves se transmettent entre spécialistes, ici des armes, là des usines à oxygène, ici encore le réacteur. Les hommes qui ont assuré le « vingt-vingt-quatre » (comprendre le quart de 20h00 à 24h00) vont retrouver leur bannette et laisser la place à la nouvelle équipe de quart, celle du zéro à quatre. Le quart qui coupe la nuit en deux !

    Et de l’arrière à l’avant du bateau (à bord des bâtiments de la marine on ne dit jamais le sous-marin, ou la frégate, ou le porte-avions, on dit le bateau !), chacun a bien conscience que la sécurité du Triomphant et de ses 111 hommes d’équipage repose sur l’équipe qui est à la manœuvre. A plus de deux-cents mètres d’immersion tout peut arriver et la vigilance ne s’interrompt jamais.

    Il est minuit quinze. Arthur a pris la suite. Il est, pour les quatre heures qui viennent, l’officier chef du quart. La fonction la plus noble qui soit sans doute, sur un petit patrouilleur, autant que sur le Charles-de-Gaulle ou sur Le Triomphant. C’est lui qui endosse la responsabilité de la manœuvre du sous-marin. C’est vers lui que vont converger toutes les informations, de quelque nature qu’elles soient, provenant de l’intérieur du bateau ou de son environnement.

    Au plan opérationnel, le risque majeur pour Le Triomphant, c’est d’être détecté, de très près ou de très loin. Pour contrer cette menace, il a été conçu comme une bulle de silence et appareillé de senseurs ultra sensibles répartis le long du bord qui mesurent en permanence le bruit émis. Et comme sous la mer on ne voit pas, Le Triomphant est bardé d’antennes qui écoutent dans toute la gamme des fréquences et analyse sans discontinuer les détections acoustiques.

    A terre aussi on travaille pour ce sous-marin opérant à des milliers de nautiques de Brest en lui transmettant météorologie, profils de température de l’océan, renseignements sur les bâtiments opérant dans la zone et dont il faut se tenir à bonne distance. Cette nuit l’environnement est calme. Bien moins chargé que ce qu’a connu Arthur à bord de l’Émeraude, lorsque ce sous-marin nucléaire d’attaque accompagnait le porte-avions en mission au large des côtes du Levant au printemps dernier. Mais il ne faut rien négliger.

    Préparer Noël

    Il est déjà 2h00 du matin. La détection qui intriguait l’oreille d’or s’est évanouie : un cargo en transit particulièrement bruyant mais à des dizaines de miles nautiques. Dans le compartiment des auxiliaires les travaux continuent pour optimiser l’usine à oxygène qui montre quelques signes inquiétants (le voyant rouge) mais les mécanos sont rassurants. Eux non plus ne vont pas beaucoup dormir.

    Arthur ordonne un léger changement d’immersion et de vitesse (ne jamais garder trop longtemps les mêmes paramètres !). Il passe la tête au PC radio et le jeune transmetteur qui effectue sa première patrouille lui tend la presse. La presse sur un SNLE est une synthèse élaborée par le commandement des sous-marins à Brest et transmise régulièrement au sous-marin par radio. Elle est le seul contact avec le monde terrestre, très attendu par l’ensemble des hommes du Triomphant.

    En cette fin d’année les informations ne s’appesantissent pas sur les manifestations des gilets jaunes. Il convient en effet de permettre à tout l’équipage de suivre la situation en France mais sans risquer d’inquiéter l’un ou l’autre. Loin de sa famille, l’imagination galope.

    Et puis Noël se prépare. A terre pour les familles. En mer pour les hommes du Triomphant mais qui seront normalement de retour pour le 31 décembre. A ce jour c’est le Vigilant qui aura pris la suite.

    • Capitaine, nous avons une nouvelle détection qui se renforce. Pas de signature acoustique franche. Cargo ou bâtiment de guerre ?
    • Arthur interrompt sa lecture.
    • Quelque chose à voir avec la détection de la relève de quart ?
    • Euh ?

     

    Mais déjà l’oreille d’or s’installe et branche ses analyseurs personnels, qu’il interdit à quiconque d’utiliser…

    • Central, c’est bon pour l’usine à ox !
    • Bravo les gars lance Vincent dans l’interphone, on va pouvoir respirer normalement. Et bonne nuit les enfants, en attendant que l’on vous fasse de nouveau signe, car tels que je vous connais vous avez dû bricoler.
    • Oui, enfin avec la claque que nous t’avons infligée au tournoi de belotte hier, à ta place je ferais profil bas, répond une voix dans l’interphone.

    Cette conversation de haut niveau s’interrompt là.

    Arthur sourit. Au fond ce qu’il aime dans ce métier de marin c’est cette vie pour laquelle l’impérieuse exigence professionnelle ne peut s’accomplir qu’au travers d’une profonde solidarité entre les hommes. Une solidarité qui s’enrichit de la personnalité de chacun et qui fait la force de l’équipage. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

    Et maintenant, dormir… Vite !

    La relève de quatre heures du matin commence à arriver et les hommes d’Arthur laissent leur place, heureux de pouvoir se glisser pour quelques heures encore dans leurs draps.

    Dernier à quitter le PCNO, Arthur ne peut s’empêcher de faire une incursion dans la cuisine et de réclamer au boulanger le premier croissant tout chaud de la journée. La boulange, lui aussi un homme clé du Triomphant, lui souhaite une bonne nuit.

    Arthur a du mal à trouver le sommeil. En entrant à l’École navale, au début des années 2000, il ne se doutait pas que le monde entrerait dans une phase d’une telle complexité. Le 11 septembre bien sûr, et puis l’Afghanistan, la Syrie, l’Irak, le Mali, la Libye, le retour de la Russie, les ambiguïtés turques, la voix de plus en plus puissante de la Chine, l’État islamique, les instabilités africaines, le jeu des États-Unis…

    Il n’imaginait pas qu’il serait un jour ce maillon de la grande chaine de la dissuasion nucléaire. Une mission assurée sans discontinuer depuis quelque cinquante ans maintenant. Combien de centaines d’officiers et d’officiers mariniers avaient assuré comme lui leur « zéro à quatre » à bord de la série des Redoutable et maintenant de celle des Triomphant ? Des milliers d’heures de quart avec la seule préoccupation de se tenir prêt « si jamais ». Si jamais les intérêts vitaux de la France étaient menacés. Le pari de la dissuasion avait bien fonctionné au XXe siècle, contribuant sans aucun doute à ce que la guerre froide reste froide.

    La synthèse de presse cette nuit confirme que l’on est de nouveau dans une nouvelle période de tensions. Avec plus d’acteurs encore qu’il y a trente ans et un monde qui se réarme. Alors la mission continue…

    La dissuasion nucléaire ne peut certes pas à elle seule arrêter les terroristes du 7 janvier, du 13 novembre ou du 14 juillet mais elle est l’argument ultime de la sécurité de la France. Un argument dont ne peut en aucune façon se départir, ni dans le monde qui est ni dans celui qui vient, l’homme qui en détient les clés : le président de la République.

    Satisfait de s’être ainsi glissé, pour quelques secondes, dans la peau du chef de l’Etat, Arthur se tourne vers la cloison et s’endort.

    La bombe atomique française

    Arthur, humble serviteur de la dissuasion nucléaire a bien raison de se glisser dans la peau du chef de l’Etat. Garants ultimes de la sécurité des Français, les présidents de la république successifs ont mesuré le poids que leur donne, sur la scène internationale, le statut de puissance nucléaire.

    Pour le Général de Gaulle, il s’agissait de « nous donner un accès direct aux débats des supergrands ». Le monde a changé et la France n’occupe plus exactement la même place sur la scène mondiale. Elle n’en reste pas moins membre permanent du conseil de sécurité et l’une des nations qui comptent le plus dans la sphère géostratégique, intervenant en de nombreux endroits où la paix est mise à mal et les peuples bousculés. Ainsi, le Président de la république est-il simultanément à Paris au PC Jupiter, à New-York où son sherpa passe de longues heures de nuit à négocier la stabilité du monde. Il est aussi à Bamako, où le général commandant les forces françaises d’intervention se bat pour contrer l’avancée du terrorisme.

    Ces mêmes présidents ont tous enfin pris la mesure de la puissance considérable des outils, initialement bâtis pour le service de la bombe atomique et qui se sont révélés être de formidables instruments du développement de notre pays. Pas simplement dans les domaines de l’aéronautique, de l’espace, de la construction navale ou du nucléaire. Arthur ne le sait pas encore mais, lorsqu’il aura réussi le concours de l’Ecole de guerre, il ira visiter un centre du prestigieux CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) dans lequel les ordinateurs les plus puissants d’Europe ont servi au décryptage de l’ADN et servent la prévention des tsunamis.

    La bombe atomique c’est cela aussi …

    Aspects économiques et implantations géographiques

    Le Triomphant, c’est 5 millions d’heures d’étude et 10 millions d’heures de production pour le seul établissement de Cherbourg. Mais ce programme a mobilisé tous les établissements de la DCN :

    • Le Service Technique des Construction et Armes Navales à Paris, qui a réalisé la conception d’ensemble du navire et a exercé la maîtrise d’œuvre des études de développement et de la réalisation du programme
    • Le Bassin d’essais des carènes, à Paris et Val de Reuil (Eure), qui a permis de définir les formes hydrodynamiques de la carène et a conçu la pompe-hélice
    • Le Laboratoire de recherche balistique de Vernon (Eure) de la DGA, qui avec le STCAN a défini le système global de navigation, permettant au sous-marin de connaître à tout moment sa position avec une extrême précision requise par le tir de missiles balistiques sur une cible distante de plusieurs milliers de kilomètres
    • DCN Indret, en Loire Atlantique, pour la conception la réalisation et le montage de l’appareil moteur. Ce sont des « colis » de près de 800 t, l’appareil propulsif monté sur son berceau, qui seront testés à terre jusqu’à la puissance maximale puis transportés par barge jusqu’à Cherbourg pour intégration à la coque. Indret est également responsable de la réalisation et du montage des principaux composants de la chaufferie nucléaire dont la cuve et le générateur de vapeur sous la maîtrise d’œuvre de Technicatome, la filiale spécialisée en propulsion nucléaire du CEA
    • DCN Ruelle, en Charente, qui a étudié et réalisé diverses installations : ligne d’arbres, mécanique de hissage des mâts et périscopes, armoires électroniques, simulateurs d’entrainement
    • Les divers centres d’études en région toulonnaise qui ont développé : le Système d’Exploitation Tactique , le plus gros projet logiciel en France à l’époque, destiné à analyser et exploiter les données fournies par les antennes du sonar et tous les autres « senseurs » du navire ; le système de communications stratégiques, en liaison avec la Direction de l’Electronique et de l’Informatique de la DGA ; le traitement d’atmosphère (production d’oxygène, décarbonatation) ; de nouveaux moyens d’écoute et de surveillance, internes et externes, du bruit du sous-marin ; le système de lancement et les générateurs de chasse des missiles stratégiques
    • DCN Saint Tropez, qui a réalisé un nouveau système de lancement de leurres contre-torpilles


    Le Triomphant c’est aussi 50 000 heures d’essais sur maquettes de tailles diverses (autant que pour l’étude de l’AIRBUS A 320), en bassin d’essais, en tunnels hydrodynamiques, en soufflerie, en lac, en mer. De nouveaux moyens d’essais spécifiques, comme le Grand Tunnel Hydrodynamique du Val de Reuil (Eure), ou le centre d’essais acoustiques du lac de Castillon (Alpes de haute Provence) ont été construits à l’occasion de ce programme, ou encore, le caisson immergé NEMO, dispositif statique de lancement de missiles, en remplacement du sous-marin Gymnote.
    Deux sous-marins, le Dauphin et le La Praya ont été affectés pendant plusieurs mois à Lorient aux essais à la mer de divers systèmes critiques par leur degré d’innovation, comme l’antenne principale du sonar ou la pompe-hélice.
    Autour de ces établissements, ce sont environs 4000 sociétés industrielles, des plus grosses (Thalès, Alstom, SAGEM) à plusieurs centaines de PME, qui ont été mobilisées pendant plus de dix ans. De nouvelles compétences liées à l’acoustique sous-marine ont été développées dans de nombreux laboratoires universitaires et privés.

    Anecdotes

    La légende du métro

    Le SNLE de deuxième génération a été, pourtant,  développé par une équipe, étatique et industrielle, extrêmement réduite en nombre, si on la compare avec les effectifs, environ dix fois plus importants, mobilisés par l’US Navy pour la conduite du programme équivalent, en termes de complexité et d’ambition, du moins, que fut le programme des SSBN (Submarine Ballistic Nuclear) de type Ohio, deuxième génération des SSBN...

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    La légende du métro

    Le SNLE de deuxième génération a été, pourtant,  développé par une équipe, étatique et industrielle, extrêmement réduite en nombre, si on la compare avec les effectifs, environ dix fois plus importants, mobilisés par l’US Navy pour la conduite du programme équivalent, en termes de complexité et d’ambition, du moins, que fut le programme des SSBN (Submarine Ballistic Nuclear) de type Ohio, deuxième génération des SSBN américains.

    Pour faire beaucoup avec des moyens humains limités, il a fallu, à côté des études scientifiques et technologiques du plus haut niveau, faire preuve de curiosité et aller prendre (on a envie de dire « pêcher ») dans des domaines techniques n’ayant a priori rien à voir avec celui de la navigation sous-marine, automobile, transport ferroviaire, aéronautique, espace, travaux publics… toutes les idées qui, après transposition, étaient susceptibles de s’appliquer avec profit à la résolution de l’un ou l’autre des  nombreux défis posés par la conception du futur SNLE NG. Une légende fermement ancrée raconte que c’est en attendant le métro pour se rendre de Balard (siège du STCAN) à Concorde (siège de l’état-major de la Marine) et en contemplant les rames stationnant sur le quai d’en face, que l’architecte, Gérald Boisrayon, et le « pape » de la discrétion acoustique, Michel Bénicourt, conçurent l’idée de certaines suspensions élastiques promises à un bel avenir…

    La collision

    Le sous-marin nucléaire lanceur d'engins britannique de dernière génération HMS Vanguard et Le Triomphant sont entrés en collision dans l’océan Atlantique une nuit de février 2009. Les deux sous-marins ont subi des dégâts matériels, mais aucun blessé ni aucune fuite radioactive n’ont été à déplorer. Au moment de la collision, les deux bâtiments étaient en immersion. Cet accident, qui défie les probabilités et aurait pu avoir des conséquences plus graves, a cependant...

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    La collision

    Le sous-marin nucléaire lanceur d'engins britannique de dernière génération HMS Vanguard et Le Triomphant sont entrés en collision dans l’océan Atlantique une nuit de février 2009. Les deux sous-marins ont subi des dégâts matériels, mais aucun blessé ni aucune fuite radioactive n’ont été à déplorer. Au moment de la collision, les deux bâtiments étaient en immersion. Cet accident, qui défie les probabilités et aurait pu avoir des conséquences plus graves, a cependant eu le mérite de démontrer par une expérience réelle, que personne n’aurait imaginé organiser, la quasi-impossibilité à se détecter l’un l’autre à laquelle se sont heurtés ces deux sous-marins, représentant la quintessence de la technologie sous-marine disponible, tant en Grande-Bretagne pour l’un, qu’en France pour l’autre. Apparemment, les ingénieurs de ces deux pays avaient bien fait leur travail !

    Une campagne particulièrement éprouvante

    Le sous-marin expérimental Gymnote, mis en service en 1966 a servi à la mise au point du système de lancement des missiles balistiques jusqu’à la génération M4 incluse. Retiré du service en 1986, il n’a pu être utilisé pour tester à la mer le système d’armes « dissuasion » du Triomphant. Cependant et juste avant son retrait définitif, il fut utilisé, avec son équipage à bord, à une campagne d’essais de tenue au grenadage en plongée, destinée à étudier au réel...

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    Une campagne particulièrement éprouvante

    Le sous-marin expérimental Gymnote, mis en service en 1966 a servi à la mise au point du système de lancement des missiles balistiques jusqu’à la génération M4 incluse. Retiré du service en 1986, il n’a pu être utilisé pour tester à la mer le système d’armes « dissuasion » du Triomphant. Cependant et juste avant son retrait définitif, il fut utilisé, avec son équipage à bord, à une campagne d’essais de tenue au grenadage en plongée, destinée à étudier au réel (ce que l’on a rarement l’occasion de faire en temps de paix) les effets induits par ce type d’agression sur les divers types d’équipements installés à bord : il peut être bon, en effet, de confronter, lorsqu’on le peut, le réel aux résultats du calcul. Cette campagne, à laquelle les ingénieurs spécificateurs tinrent à participer physiquement en embarquant sur le Gymnote, fut particulièrement éprouvante et démontra, bien qu’il n’y ait eu aucun blessé, que le maillon de moindre résistance à bord est bien le maillon humain. Des traits de caractère, jusqu’à présent demeurés inconnus, ont pu être involontairement révélés par certains dans ces circonstances inhabituelles. Ce n’était pas véritablement le but recherché.

    Marcher sur les cloisons

    Quelques semaines plus tôt, le Dauphin, un sous-marin à propulsion classique de type Narval affecté à des expérimentations au profit du programme SNLE NG, sortait d’une refonte qui avait permis de le doter d’une antenne sonar sphérique et d’un énorme dôme d’étrave en matériau composite destiné à l’abriter. Faisant, comme il est de règle, ses essais à la mer après cette période de travaux, il engage, sur une alerte voie d’eau fictive, une remontée rapide depuis...

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    Marcher sur les cloisons

    Quelques semaines plus tôt, le Dauphin, un sous-marin à propulsion classique de type Narval affecté à des expérimentations au profit du programme SNLE NG, sortait d’une refonte qui avait permis de le doter d’une antenne sonar sphérique et d’un énorme dôme d’étrave en matériau composite destiné à l’abriter. Faisant, comme il est de règle, ses essais à la mer après cette période de travaux, il engage, sur une alerte voie d’eau fictive, une remontée rapide depuis son immersion maximale et arrive en surface avec une gite proche de 90 degrés. L’équipage a pris conscience ce jour-là de ce que leurs anciens appelaient « marcher sur les cloisons ». Il en a été quitte, cependant, pour une bonne émotion.

    MOPet show

    Les réunions annuelles « discrétion acoustique » de Cadarache n’ont pas été, bien sûr, les seules réunions donnant l’occasion de rassembler les principaux représentants des différents acteurs exerçant des responsabilités techniques ou industrielles au sein du programme. Tous les six mois, notamment, se tenaient à Cherbourg des réunions d’avancement et de coordination rassemblant tous les coopérants majeurs sous la présidence du MOP Cœlacanthe. Rapidement, ces...

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    MOPet show

    Les réunions annuelles « discrétion acoustique » de Cadarache n’ont pas été, bien sûr, les seules réunions donnant l’occasion de rassembler les principaux représentants des différents acteurs exerçant des responsabilités techniques ou industrielles au sein du programme. Tous les six mois, notamment, se tenaient à Cherbourg des réunions d’avancement et de coordination rassemblant tous les coopérants majeurs sous la présidence du MOP Cœlacanthe. Rapidement, ces réunions où chacun attendait qu’un autre annonce le premier ses turpitudes et ses retards, ont été baptisées « MOPet show ». A la fin de deux jours de discussions intenses, voire musclées, tous les participants parisiens se précipitaient au fond de la salle pour troquer l’uniforme pour le « chapeau mou » afin de courir à la gare prendre le dernier turbotrain pour Paris.

    En images

    • 01 - Fanion du SNLE Le Triomphant (recto) ©Marine Nationale CPAR Brest_Guénolé
    • 02 - Carénage d’un SNLE dans un bassin de la base navale de Brest (mars 2015) ©Alain Monot/Marine Nationale/Défense
    • 03 - Un SNLE sort d’un bassin de la base navale de Brest le14 avril 2015 ©Alain Monot/Marine Nationale/Défens
    • 04 - Un SNLE sort d’un bassin de la base navale de Brest le 14 avril 2015 - ©Pascal Dagois/Marine Nationale/Défense
    • 05 - Le SNLE Le Terrible sur la base opérationnelle de l’Ile Longue, lors de la cérémonie de la 500e patrouille d’un SNLE (11 octobre 2018) ©Mélanie Denniel/Marine Nationale/Défense
    • 06 - Carénage
    • 07 - Le Triomphant dans la nef d’assemblage du chantier de construction et sur le dispositif de mise à l’eau dans l’établissement de Cherbourg de la DCN (Naval Group aujourd’hui)
    • 08 - Le Triomphant dans la nef d’assemblage du chantier de construction et sur le dispositif de mise à l’eau dans l’établissement de Cherbourg de la DCN (Naval Group aujourd’hui)
    • 09 - Le Triomphant à la mer et dans son bassin à l’Ile Longue, base opérationnelle des SNLE à Brest
    • 10 - Le Triomphant à la mer et dans son bassin à l’Ile Longue, base opérationnelle des SNLE à Brest
    • 11 - Nicolas Sarkozy, Président de la République, photographié à Cherbourg le 21 mars 2008, devant Le Terrible reposant sur son dispositif de mise à l’eau. On aperçoit également Hervé Morin et Jean-Marie Poimbeuf, respectivement à l’époque ministre de la Défense et Président directeur général de DCNS (aujourd’hui Naval Group)
    • 12 - Fanion du SNLE Le Triomphant (verso) ©Marine Nationale CPAR Brest_Guénolé

    En vidéos

    Liens annexes

    La saga du MSBS : 50 années de passion et de réussite

    Le nombre de nations capables de réaliser des systèmes de ce type se comptent même aujourd’hui sur les doigts d’une main. Cet objectif représentait à l’origine pour la France un triple défi : scientifique, industriel et opérationnel. A l’époque de la décision, les ingénieurs militaires étaient répartis par « milieux » : terre, air, mer… et Service des poudres. Le corps des ingénieurs de l’armement a été créé fort à propos pour rapprocher les différentes cultures… et développer les cultures émergentes, telles que « missiles » et « systèmes ».

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    Le guidage et le pilotage des missiles balistiques MSBS

    Le guidage et le pilotage des missiles balistiques MSBS

    En 1960 au moment où le Général de Gaulle décide la réalisation d'une force nucléaire stratégique (FNS), lancer un missile depuis une plate-forme fixe ou mobile et guider une ogive avec précision vers son but, et cela sans aucune aide extérieure, n'était réalisable que si on arrivait à maîtriser les technologies inertielles qui seules pouvaient conduire à des matériels fiables et compacts, compatibles avec des lanceurs opérationnels.

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