50 ans d’essor des hélicoptères et les ingénieurs de l’armement
L’hélicoptère, conçu à l’origine en France pour les militaires, est plus que jamais un outil puissant et incontournable au service des trois armées et de la gendarmerie, et son utilisation civile n’a cessé de s’étendre. La France peut s’enorgueillir d’avoir considérablement développé ce secteur avec un bilan flatteur : une lignée de programmes déployés dans le monde entier et une industrie au premier rang mondial. Dès les années 1960, la division hélicoptères de Sud-Aviation, devenue Aérospatiale, s’est hissée au premier rang en Europe. Puis une démarche d’intégration européenne a conduit à la création d’Eurocopter, aujourd’hui Airbus Helicopters, devenu leader mondial. Ce succès industriel est d’abord celui des concepteurs de ces machines, chercheurs inventifs, ingénieurs dynamiques attachés à l’innovation, managers audacieux, mais c’est aussi celui des responsables étatiques, portant une vision stratégique sur le paysage militaro-industriel européen et mondial. Les ingénieurs de l’armement ont largement contribué à ce développement, qui est un succès aussi bien technique qu’industriel.
Un décollage soutenu par l’Etat
L’industrie française des voilures tournantes, encore balbutiante à la fin des années 1930, a été anéantie pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle renaît à partir de 1944 sous l’impulsion forte de l’Etat. Un socle industriel est créé : les sociétés nationales SNCASO, SNCASE et d’autres, ainsi que des contrats sont conclus avec des équipes dynamiques pour la réalisation de projets novateurs. La section Voilures tournantes du Service technique de l’aéronautique a été créée pour cette mission en août 1944, avec à sa tête l’ingénieur en chef de l’Air Roger Garry, auquel a succédé de 1948 à 1962 François Legrand (cf. photo ci-dessous), ingénieur en chef de l’Air également. Celui-ci a ensuite dirigé, à partir de 1962, le bureau d’études de la division hélicoptères de Sud-Aviation, qui deviendra Aérospatiale l’année suivante, avant de prendre, en 1969, la direction de cette division. Le développement de l’hélicoptère a été porté dans une première période par le marché militaire. L’Etat actionnaire, l’Etat « manager », mais aussi l’Etat client a donc joué pleinement son rôle dans la renaissance de l’industrie et le lancement des programmes. Après le succès mondial des premiers hélicoptères, l’Alouette II (cf. photo ci-dessous) puis l’Alouette III (première génération)(cf. photo ci-dessous), grâce notamment à leur turbine Turbomeca, la France développe le Puma (cf. photo ci-dessous) et la Gazelle (deuxième génération) (cf. photo ci-dessous) pendant les années 1960. Ces deux programmes, et particulièrement le Puma, feront le succès de notre ALAT (Aviation légère de l’armée de Terre) et la prospérité de l’Aérospatiale pendant des décennies. Ils volent encore aujourd’hui dans le monde entier, pour des usages civils ou militaires.
François LEGRAND
Alouette II
Alouette III Securite Civile
Gazelle Alat En Opération
Puma Sa 330
Ainsi, lorsque le corps des ingénieurs de l’armement est créé en 1968, l’industrie française des hélicoptères est déjà dans un stade de maturité avancé, qu’il s’agit de conforter. Poursuivant l’action des directions et services qui l’ont précédée, la DGA a continué de jouer un rôle majeur, d’abord en exerçant, en liaison étroite avec les états-majors, les responsabilités de la conduite des programmes d’armement et en participant activement à leurs développements et à leur soutien, en apportant expertise technique et prestations d’essais. A cet égard, on peut noter que la DGA, par ses réformes successives, a pu surmonter le défi des systèmes d’armes modernes, faisant intervenir de façon intégrée des compétences multiples pour des missions interarmées, dans des disciplines aussi diverses que l’aéronautique, les armements, l’optronique, les communications et d’autres. Elle a continué en parallèle à fournir une expertise technique au profit des développements civils et de la certification des hélicoptères. Son action couvre de multiples domaines, de la préparation de l’avenir au soutien à l’exportation.
A partir de la fin des années 1960, le paysage des hélicoptères a évolué de façon différente entre le civil et le militaire. Le paysage militaire a été marqué par la volonté des Etats de mettre en place des coopérations en Europe. Une première coopération, franco-britannique, sera organisée sur trois programmes conçus nationalement : le Puma, la Gazelle et le Lynx. Puis des coopérations plus étroites avec l’Allemagne et d’autres pays européens aboutiront aux programmes Tigre (cf. photo ci-dessous) et NH90 (cf. photo ci-dessous) dans un contexte de baisse des budgets de la défense, accentuée par la chute du mur de Berlin. Le marché civil, de son côté, explosera au niveau mondial et deviendra majoritaire, entraînant pour l’industrie une diminution progressive de sa dépendance de l’Etat et une nécessité encore plus marquée de conforter son point fort : l’innovation technologique.
Tigre (HAP)
NH90 - TTH
L’innovation technologique
Parmi les facteurs qui ont permis à l’industrie française des hélicoptères de s’affirmer comme un leader européen puis mondial, l’innovation est peut-être le plus important. C’est d’abord par le dynamisme et l’inventivité de ses ingénieurs que la division hélicoptères de l’Aérospatiale a pu s’imposer face à ses concurrents jusque sur le marché américain. Les inventions des années 1970 relatives aux moyeux rotors, dont le « starflex » de l’Ecureuil (cf. photo ci-dessous), le précurseur, l’introduction massive des matériaux composites dans les ensembles mécaniques et les structures, les concepts nouveaux comme le « fenestron » (rotor arrière caréné) (cf. photo ci-dessous), sont des exemples emblématiques. Ces années ont été décisives dans l’avance qu’a pu prendre le constructeur français par le foisonnement d’idées nouvelles et la frénésie des expérimentations technologiques, sous l’impulsion de René Mouille (cf. photo ci-dessous), inventeur de génie, et avec un soutien important de l’Etat. Ce dynamisme très pragmatique a été opportunément complété par l’apport scientifique des chercheurs de l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) dans la compréhension des phénomènes aérodynamiques et aéroélastiques affectant ces machines complexes, pour aboutir en définitive à des progrès substantiels dans les performances et qualités de vol de l’hélicoptère. Dans le domaine des matériaux plus particulièrement, la légèreté et la résistance étant des caractéristiques fondamentales en aéronautique, l’Aérospatiale/hélicoptères a été un précurseur dans l’introduction des matériaux composites, devant ses concurrents et même devant les constructeurs d’avions, jusque-là très en avance sur les hélicoptéristes.
Moyeu Starflex
Fenestron
René Mouille
Le cheminement international : de la coopération à l’intégration
Ce demi-siècle d’histoire des hélicoptères a été très fortement marqué par une volonté continue des politiques de construire des coopérations européennes. Une première forme de coopération était déjà apparue au lendemain de la guerre. Des ingénieurs allemands avaient été intégrés aux équipes françaises de la SNCASE, de la SNCASO et aussi du motoriste Turbomeca, et l’exploitation de leur savoir-faire, et de celui des principaux constructeurs américains (Sikorsky) par l'intermédiaire de prises de licences, a contribué aux premiers succès des hélicoptères français. C’est ainsi qu’est conçue l’Alouette II en 1955 par l’équipe de Charles Marchetti avec René Mouille, réussite emblématique de toute l’histoire de l’aéronautique.
Dans les années 1960, l’État a donc tenté de mettre en place des coopérations, plus particulièrement dans le domaine de la défense. Le traité de l’Elysée de 1963, par exemple, avait initié des coopérations entre la France et l’Allemagne. Concernant les hélicoptères, une coopération franco-britannique a été mise sur pied en 1967. Elle a cependant été construite sur la base de programmes purement nationaux, la Gazelle et le Puma ayant été conçus en France et le Lynx en Grande-Bretagne. Elle portait sur la production et la gestion en commun des hélicoptères destinés aux armées française et britannique. Les succès internationaux des programmes Gazelle et Puma, aussi bien civils que militaires, ont largement dépassé le cadre de cette coopération. Cet accord franco-britannique n’a pas eu de prolongement.
La fin des années 1970 a été marquée par de nouvelles tentatives de coopération européenne dans le domaine de la défense, avec des échecs mais aussi des réussites. Pour les hélicoptères, un accord global, signé en 1978 par un petit nombre de pays européens, a défini une répartition des programmes futurs entre les pays participants. La DGA, spécialement Etienne Lefort, ICA chargé des hélicoptères, y a joué un rôle moteur. Cet accord a donné un cadre pour les deux coopérations majeures qui en ont découlé : la coopération franco-allemande sur le Tigre et la coopération multilatérale entre des pays européens sur le NH90 (cf. photo ci-dessous). La mise en place de ces coopérations, processus qui n’a abouti finalement qu’en 1987, a été extrêmement laborieuse, et ces programmes n’ont survécu que grâce à une très forte volonté politique. La coopération sur le programme Tigre a été déterminante pour l’avenir de l’industrie franco-allemande des hélicoptères. Les dispositions d’organisation et méthodes de travail mises en place entre 1987 et 1989 dans le cadre de ce programme ont servi de laboratoire d’essai pour former en 1992 la nouvelle société Eurocopter (cf. Genèse d’Eurocopter), fusion des divisions hélicoptères de l’Aérospatiale et de MBB. Ce parcours international a trouvé aujourd’hui son aboutissement dans Airbus Helicopters.
Tigre et NH90
La spécialisation entre civil et militaire - La croissance du marché civil
A la même époque, la fin des années 1970, l’Aérospatiale développe sous l’impulsion de François Legrand une « nouvelle gamme », la troisième génération, essentiellement destinée au marché civil en forte croissance : le Super-Puma, le Dauphin et l’Ecureuil (cf. photo ci-dessous), et leurs dérivés. Malgré la crise économique du début des années 1980, cette gamme a permis à l’Aérospatiale de devenir le premier exportateur mondial. Du côté militaire, alors que les avions avaient été élevés au rang de systèmes d’armes avec le Mirage 2000, les hélicoptères restaient encore de simples véhicules, quoique complexes sur le plan mécanique. Un effort important, avec un soutien de l’État, a été consacré au développement d’une compétence système, grâce notamment aux crédits préparatoires à l’HAC, futur Tigre, et aux crédits de la DGAC, pour les applications civiles, avec le développement d’avioniques intégrées. L’hélicoptère a ainsi atteint un haut niveau de maturité. Ce niveau peut être représenté aujourd’hui, pour les hélicoptères civils, par le dernier-né de la production d’Airbus Helicopters, le H160 (cf. photo ci-dessous), concentré des derniers développements technologiques. Cet appareil polyvalent est destiné non seulement aux clients civils mais aussi, en principe, aux armées françaises. On lui souhaite de devenir aussi emblématique que l’Alouette. On lui souhaite surtout de ne pas être l’aboutissement ultime d’une formule qui aurait atteint ses limites. Car l’innovation doit continuer pour l’hélicoptère et, pourquoi pas, pour des formules hybrides.
Nouvelle gamme salon 1981 - Ecureuil, Dauphin, Super-Puma
H 160
Les formules nouvelles (combiné-convertible)
C’est en effet un rêve qui date de plus d’un demi-siècle de voir enfin émerger de nouvelles solutions pour le vol vertical. Après une débauche d’expérimentations de formules diverses à voilure tournante dans la première moitié du XXème siècle, l’activité sur les formules dites « nouvelles » a été relativement modeste dans la deuxième moitié. La formule « combiné » ou « hybride », expérimentée dès 1953 avec le SO 1310 Farfadet (cf. photo ci-dessous), a fait l’objet d’un nouveau démonstrateur conçu par Eurocopter, le X3 (cf. photo ci-dessous), qui repousse à près de 500 km/h la vitesse maximale. Le projet européen « Clean Sky 2 » devrait poursuivre cette exploration. La formule convertible (hélicoptère/avion à rotors basculants), expérimentée dès 1968 en France avec le Nord 500 (cf. photo ci-dessous), reste encore au stade des études préliminaires et des projets et n’a pas atteint, du moins en France ou en Europe, la maturité, victime des arbitrages financiers et du marché. Le développement des drones devrait être aussi l’occasion de susciter des idées nouvelles permettant de réussir de nouveaux sauts technologiques. Les compétences et la technologie sont pratiquement disponibles. Il faudra sans doute des circonstances favorables sur le plan économique, beaucoup d’imagination et sûrement de l’audace, pour voir émerger l’une ou l’autre de ces formules réellement innovantes.
Farfadet
X3
Nord 500
Quoi qu’il en soit, au cours des cinquante années passées, le corps de l’armement aura activement participé au succès des hélicoptères français et européens, non seulement au sein des divers services et établissements de la DGA, mais aussi au sein de l’industrie par le rayonnement de hauts responsables venus de ses rangs (cf. photos ci-dessous : François LEGRAND et Guillaume FAURY).