Le Rafale
et ses systèmes d'armes
Petit historique et grandes dates
L'échec des tentatives européennes
L'origine lointaine du programme remonte aux années 1970. Les services officiels français se sont alors posé la question des successeurs des avions de combat à l'horizon de la fin du XXème siècle. Cette question se posant également en Allemagne et au Royaume-Uni, en 1977, les ministres de la Défense décident de lancer des études préliminaires communes.
Dès 1980, La France a fait réaliser des études de faisabilité suivies, en 1983, du lancement d'un démonstrateur baptisé ACX, alors que les Britanniques avaient lancé en 1982 un démonstrateur baptisé EAP. En 1985, après plusieurs années de discussions internationales à cinq pays (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne et France), les spécifications opérationnelles étant trop différentes et n'arrivant pas à converger, la France, seul pays à avoir besoin d'un avion embarqué, a décidé de quitter le programme commun lancé par trois pays (Allemagne, Royaume-Uni et Italie) auquel s'est jointe ultérieurement l'Espagne, l'Eurofighter Typhoon. La France décide alors de s'orienter vers un programme national d'avions de combat polyvalent, le Rafale.
Le lancement du programme
Le premier vol de l'ACX baptisé Rafale A par Marcel Dassault a eu lieu en 1986. En parallèle, des démonstrateurs pour le moteur M88-2 et le radar ont été réalisés.
Les excellents résultats obtenus avec ces différents démonstrateurs ont conduit le gouvernement à lancer le programme en janvier 1988, avec un objectif ambitieux de près de 300 Rafale pour la France. Quatre prototypes ont été construits : un monoplace C01 et un monoplace marine M01 qui ont effectué leur 1er vol tous les deux en 1991, un biplace B01 et le deuxième monoplace marine M02 qui ont effectué leur 1er vol en 1993.
Le lancement de la production
Fin 1992, les essais au sol et en vol ont progressé avec succès, en particulier lors des essais d'appontage et de catapultage au sol effectués aux Etats-Unis avec le Rafale M01, et le gouvernement décide alors de lancer la production sur la base d'un programme de 296 appareils : 62 pour l'aéronautique navale et 234 pour l'armée de l'Air (95 monoplaces et 139 biplaces).
Le premier avion de série doit être livré fin 1996. L'objectif est alors d'avoir une première flottille opérationnelle en 1998 sur le porte-avions Foch, puis un premier escadron opérationnel dans l'armée de l'Air en 2000.
Le développement des standards
L'architecture du système d'armes Rafale est une construction incrémentale fondée sur des capacités de calcul centralisées considérables, permettant une intégration progressive des fonctions dans des standards successifs F1 à F4 qui élargissent à chaque fois les capacités des Rafale air et marine :
- Rafale F1 à vocation air-air utilisé par la Marine à partir de 2002. emportant 4 missiles MICA et un canon de 30 mm.
- Rafale F2 ajoutant des fonctions air-sol au standard F1, 1er standard de l'armée de l'Air et 2e de la Marine, qui a permis d'effectuer des missions de frappe air-sol à partir de 2007 en emportant des missiles Scalp, des bombes guidées laser et des bombes propulsées et guidées AASM.
- Rafale F3 livré à partir de 2009, ajoutant au standard F2 les capacités d'emport de l'arme nucléaire ASMP et de missiles antinavires AM 39, du nouveau missile air-air à longue portée Meteor, ainsi que de la nacelle de reconnaissance NG AREOS et de la nacelle de désignation laser TALIOS. Il comprend aussi diverses améliorations du moteur M88 et des équipements, notamment l'adjonction d'une antenne active sur le radar RBE2 qui en augmente considérablement la portée en cohérence avec les performances du Meteor.
- Rafale F4, dont les travaux viennent d'être lancés, qui permettra au Rafale de rester au plus haut niveau bien au-delà de 2030 par de multiples améliorations de son système d'armes.
Les étalements successifs
Le poids considérable du programme Rafale dans les investissements du ministère de la Défense a conduit le ministère à étaler le programme à chaque fois qu'une difficulté budgétaire importante a été rencontrée dans la construction et l'exécution des lois de programmation successives.
La 1ère commande de série a eu lieu fin mars 1993 (13 avions). La 2ème n'a eu lieu qu'en 1999 pour 48 appareils, la 3ème en 2004 pour 59 appareils et la 4ème en 2009 pour 60 appareils. La commande de la 5ème tranche (30 appareils) est prévue pour 2023. Entretemps, des commandes pour l'export permettent de maintenir les chaînes de production en activité.
L'exportation
Les besoins de l'exportation du Rafale ont été pris en compte dès l'origine du programme et les industriels ont accepté de participer au financement du développement jusqu'en 1998 pour pouvoir se positionner à l'exportation plus rapidement.
Les missions de promotion du Rafale ont commencé très tôt auprès d'un très grand nombre de pays dans le monde. Finalement, après de multiples tentatives avortées, c'est l'Egypte qui la première a passé commande en 2015 de 24 Rafale, suivie du Qatar (24 Rafale en 2015 + 12 Rafale en 2017) et de l'Inde en 2016 (36 Rafale). Compte tenu des qualités démontrées des Rafale, notamment en opérations extérieures, la vente de Rafale à l'exportation devrait se poursuivre dans les années qui viennent.
Principales innovations
-
Utilisation massive de matériaux innovants (titane ou fibres de carbone), qui allègent considérablement la cellule tout en lui donnant une résistance exceptionnelle aux accélérations, notamment au catapultage et à l'appontage.
Formule aérodynamique delta-canard associée à des commandes de vol électriques numériques lui permettant des vitesses d'approche très inférieures aux Mirage 2000, condition indispensable pour opérer à partir d'un porte-avions.
Applications de solutions classifiées permettant au Rafale d'avoir un niveau de discrétion radar très élevé par rapport aux avions de combat précédents.
Interface homme-machine sans équivalent au monde lorsque le Rafale a commencé d'être mis en service, fondée sur 4 visualisations (tête haute, tête moyenne et latérales à grand champ de vision) et un viseur de casque permettant d'optimiser en permanence la présentation des informations tactiques , de pilotage et d'état des systèmes nécessaires à la bonne exécution des missions.
Maintenance optimisée dès la conception du Rafale associée à un suivi informatique embarqué de l'état de l'avion, de ses moteurs et de ses systèmes, permettant dans la plupart des cas de se limiter à une maintenance curative beaucoup plus légère que celle indispensable aux avions de la génération précédente et aux avions étrangers
Liaison haut débit entre avions et avec l'environnement extérieur (navires, sol, avions de guet aérien, etc.) permis par le terminal MIDS embarqué sur Rafale
Capacités d'emport considérables : 14 points d'emport pour les Rafale B et C, 13 pour le Rafale M permettant une masse de charges externes pratiquement égales à la masse à vide de l'appareil.
Radar à balayage électronique deux plans dès l'origine, qui bénéficie à partir du standard F3-R (évolution du standard F3) d'une antenne active augmentant considérablement la portée, en cohérence avec les capacités du missile air-air à longue portée METEOR franco-britannique.
Optronique Secteur Frontal (OSF) permettant une détection et une conduite de tir totalement passive dans le visible et l'infrarouge.
Système de détection et de contre-mesures actives et passives très élaboré (SPECTRA) couvrant l'ensemble du spectre des menaces air-air et sol-air actuellement connues et capable d'évoluer pour couvrir les menaces futures.
Moteur allégé aux performances très supérieures à celles de la génération précédente, notamment en termes de consommation spécifique qui permettent à la fois des performances très brillantes en combat air-air et des rayons d'action très importants en mission de pénétration, en utilisant la fonction ravitaillement en vol de l'avion, avion ravitaillable et dans le cas des Rafale M, ravitailleur (fonction « nounou »).
Capacité de pénétration en suivi de terrain automatique à grande vitesse permise par les qualités de précision du système de navigation.
Caractéristiques
- Dimensions :
Envergure : 10,80 m
Longueur : 15,27 m
Hauteur : 5,34 m
Surface alaire : 45,7 m² - Masses :
Masse à vide :
- Rafale B : 10 450 kg
- Rafale c : 9 850 kg
- Rafale M : 10 196 kg
Carburant :
- interne : 4 700 kg
- externe : 6 800 kg
Emports externes (14 points, dont 5 pour charges lourdes) : 9 500 kg
Maximale : 24 500 kg - Performances :
Vitesses :
- maximale :
à basse altitude : 750 nœuds (près de 1 400 km/h)
à haute altitude : Mach 1,8 (env. 2 200 km/h)
- approche : 120 nœuds (213 km/h)
Plafond : > à 55 000 pieds (env. 16 800 m)
Rayon d’action : pénétration > à 1 000 Nm
Endurance : 12 heures avec ravitaillements en vol
Distance de roulement à l’atterrissage : 450 m
Rapport poussée/poids : 1,55 à vide et 0,62 à masse maximale
Facteur de charge : -3,2/+9g
Taux de montée : > à 1 000 pieds (env. 305 m)/s - Motorisation :
2 M 88-2
Type : turboréacteurs à double flux avec postcombustion (PC)
Poussée unitaire :
- à sec : 50 kN (env. 5 100 kg)
- avec PC : 75 kN (env. 7 650 kg)
Témoignages
IGA Patrick Dufour
5ème directeur du programme
Lorsque je rejoins le programme en novembre 2003, la situation est bien difficile. La production est arrêtée. Le dernier Rafale au standard F1, le M10 ayant été livré 14 octobre 2002. La...IGA Patrick Dufour
Lorsque je rejoins le programme en novembre 2003, la situation est bien difficile.
La production est arrêtée. Le dernier Rafale au standard F1, le M10 ayant été livré 14 octobre 2002. La flottille 12F réactivée le 18 mai 2001 n’est pas déclarée opérationnelle. L’équipe de programme traite un par un les « No-Go » qui empêchent de déclarer cet avion opérationnel. La livraison des Rafale au standard F2 est prévue à l’été 2004. Tout le cœur avionique de ces avions a été refondu avec l’introduction d’Ensembles Modulaires de Traitement de l’Information, les fameux EMTI.
Depuis la notification en décembre 1992 du marché d’industrialisation, de nombreux équipements électroniques sont, au moins en partie, obsolètes et la production ne peut pas être assurée au-delà de la commande en cours de 48 avions et la tranche suivante doit être commandée en 2004. Bien qu’inéluctable, cette situation ne manque pas de susciter les critiques au sein du ministère et, bien informée, la presse titre « Le Rafale, obsolète avant d’être en service ».
Les hasards de la programmation ont placé un jalon majeur à mi 2006 : la mise en service du premier escadron de Rafale de l’armée de l’Air. A cette époque, la norme est que les escadrons sont à vingt avions et les calendriers du programme font que la livraison du vingtième Rafale F2 est prévue en juin 2006. La qualification du standard F2 est prévue à la même date, ce qui signifie que les premiers avions seront livrés dans un standard intermédiaire à rattraper ultérieurement.
Pour contribuer à la pression, se pose au même moment la question du lancement du développent du standard F3, qui, intégrant l’ASMPA (Air-sol moyenne portée amélioré), porte le renouvellement de la composante aéroportée de la dissuasion, sujet sensible s’il en est.
Pourtant tous ces jalons seront tenus et, le 27 juin 2006, a lieu à Saint-Dizier la cérémonie de constitution du premier escadron de Rafale de l’armée de l’Air, le 1/7 Provence.
Simple affichage ou réalité tangible ? La réponse est dans l’emploi opérationnel de l’avion. En 2004, la Marine s’était servie de ses Rafale F1 pour ravitailler les Super Etendard Modernisés. En mars 2007 aura lieu le premier déploiement des Rafale du 1/7 à Douchambé, au Tadjikistan. Il aura fallu au préalable mener en « urgent opération » l’intégration de la bombe guidée laser GBU12 en « tireur seul ». Ce déploiement de l’armée de l’Air n’est pas sans susciter de réaction de la part de la Marine dont le porte-avions doit opérer au large du Pakistan en mars 2007 également. Elle dispose de deux Rafale au standard F2 en expérimentation et s’engage auprès de l’EMA à en fournir trois, le troisième étant encore à ce moment sur la chaîne de production de Dassault à Mérignac. Cet avion rejoindra le porte-avions en vol via Djibouti et ce sera un Rafale Marine qui tirera pour la première fois en Afghanistan. Il est évident que la quantité de munitions délivrée par les Rafale ne changera pas le cours de la guerre. Les risques en cas d’incident technique sont élevés. Dans le cas de la marine, il n’y a aucun déroutement possible et il faut rejoindre le porte-avions. Dans le cas de l’armée de l’Air, il y a tout l’Himalaya à survoler et les reliefs sont tellement inaccessibles à nos hélicoptères qu’elle a inventé le concept de RESAL (Recherche Et Secours AéroLarguée). En cas d’éjection, une équipe de commandos de l’air est parachutée en haute montagne avec pour mission de retrouver l’équipage, le soigner et le transporter jusqu’à une zone accessible aux hélicoptères. Si les chefs des deux armées prennent la décision de proposer d’engager les Rafale, c’est qu’ils ont suffisamment confiance dans l’avion.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun chasseur français n’aura tiré en opération aussi peu de temps après sa mise en service. On rappellera que c’est le commandement de la coalition qui décide des cibles et des tirs, le commandement national n’ayant qu’un droit de veto. On ne peut pas faire d’avis plus indépendant sur les capacités opérationnelles de l’avion.
Ces résultats tiennent à la cohésion et à l’énergie de l’équipe de programme, à tous les niveaux.
Certes, il y a eu des nouveautés en matière de méthodes. Des revues de mise en service opérationnelle avec l’armée de l’Air ont été organisées, d’abord présidées par le sous-chef puis par le major général. Après la livraison des premiers avions, la direction de programme se déplacera à Mont-de-Marsan chaque mois. Le Rafale est célèbre pour ses « bocaux », réunions de plusieurs jours ou l’équipe de programme s’enferme avec les équipes industrielles et dont il sort nécessairement une solution admise par tous. Les montages contractuels sont parfois tellement inhabituels qu’avant de les lancer, je vais les présenter au DAF (Direction des affaires financières) et à l’ACSIA (Agence comptable des services industriels de l’armement). Un jour, l’ACSIA, Monsieur Ninu, m’accueillera par « Monsieur l’ingénieur général, quelle horreur venez-vous encore me présenter ? Quoique, je dois admettre que jusqu’ici ce que m’avez proposé était toujours strictement conforme à la réglementation ».
Rien de cela n’aurait été possible sans une équipe passionnée et pleine d’énergie aux talents multiples fédérant des personnalités d’origines diverses et aux parcours variés. La ligne est claire et le travail est fait avec professionnalisme et rigueur, chacun à son niveau. Ainsi, lorsque les premiers Rafale F2 sont présentés à l’été 2004 aux opérations de vérification, c’est le responsable assurance qualité du programme, IDEF (ingénieur divisionnaire d'études et de fabrications) au service de la qualité, qui prendra la décision d’en ajourner la réception suscitant un beau tollé. Ce sera l’occasion de constater que toute l’équipe est en phase, que le directeur de programme non seulement est d’accord mais diffuse vers le haut les messages qui conviennent avant que les appels téléphoniques étonnés et autres « non-papiers » ne se succèdent. In fine ces avions ne seront livrés que fin décembre, mais ils seront livrés dans un état nettement plus conforme à ce qui est attendu.
Cette équipe est extrêmement professionnelle et cela fonde sa crédibilité. Lorsqu’un beau vendredi de décembre 2006, le CEMA demande l’intégration en « urgent opération » de la GBU 12, il faut notifier une lettre de commande or les règles de l’époque imposent l’accord préalable du contrôle général des armées et de l’ACSIA. La crédibilité de l’équipe est telle que les deux accords seront obtenus le même jour en trente minutes. Le délai annoncé par l’équipe ne sera pas contesté par les armées et chacun des équipages déployés aura pu tirer en métropole avant de partir.
Quelques années plus tard, mon successeur, Stéphane Reb, déclarera : « J’ai trouvé une équipe qui avait une âme ».
« Autre temps, autres mœurs » diront sans doute les jeunes générations. Je ne le pense pas. Les circonstances varient, mais eux aussi auront à rendre l’impossible possible. De l’épopée de la mise en service du Rafale, je tire trois messages simples à leur usage :
- la seule véritable finalité : « La mission d’abord » (avec en corollaire « Allez donc voir dans les unités comment cela se passe réellement ») ;
- la seule véritable exigence de management : « Soyez pros » ;
- ce que l’on attend réellement d’un directeur de programme : « Leadership ».
Vie opérationnelle
Aspects économiques et implantations géographiques
Le coût du programme a été estimé par le Sénat en 2014 à 46,4 Md € pour 286 Rafale pour la France, et son évolution au cours du programme a été remarquablement maîtrisée (4,6 % depuis le début de la production d'après la Cour des comptes). C'est le programme le plus cher de l'aéronautique française, mais son coût de série est nettement inférieur à celui de ses concurrents directs, Typhoon européen ou F35 américain. Si le F35 entre seulement en service, le Typhoon n’a délivré que très peu d’armements en opérations.
Une grande partie de l'industrie aéronautique française est impliquée dans le programme Rafale. Entre 7 000 et 10 000 personnes travaillent dans plus de 500 sociétés pour le programme et les principaux contractants sont :
- Dassault Aviation pour la cellule, une partie des équipements et l'intégration globale ;
- Safran Aircraft Engines pour les moteurs M 88 ;
- Thalès pour les radars RBE2, l'OSF, le système de contre-mesures SPECTRA et les nacelles d'emport ;
- MBDA pour les missiles.
L'assemblage final est effectué à l'usine Dassault Aviation de Mérignac.
Les unités Rafale sont implantées à Landivisiau pour la Marine nationale, Saint-Dizier, Mont-de-Marsan et Istres pour l'armée de l'Air.
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