L’espace
Introduction :
L’ambition du général de Gaulle de faire de la France une puissance spatiale s’est concrétisée par la création du Centre national d’études spatiales (CNES), début 1961. Cette volonté politique des plus hautes autorités de l’Etat ne s’est jamais démentie depuis lors.
Les ingénieurs de l’armement (IA) sont des acteurs-clés de cet effort spatial français, comme en témoignent les nominations successives comme directeur général du CNES de Michel Bignier (1972-1976), Yves Sillard (1976-1982), Frédéric d’Allest (1982-1989) puis, comme directeur général délégué, de Stéphane Janichewski (2006-2009), Joël Barre (2009-2017), Lionel Suchet (depuis 2017). Inversement, le passage par le CNES semble valorisant dans la carrière des IA puisque Yves Sillard et Joël Barre sont ensuite devenus chacun délégué général pour l’armement (respectivement en 1989-1993 et depuis 2017). De nombreux IA ont également dirigé les entreprises du secteur. Enfin, les spationautes comptent un IA (Jean-François Clervoy) dans leurs rangs.
En s’appuyant sur le CNES, la Direction générale de l’armement DGA est montée en puissance dans le domaine spatial en devenant successivement maître d’ouvrage de systèmes spatiaux de télécommunications sécurisées, d’observation optique de très haute résolution et de renseignement d’origine électromagnétique.
A l’inverse, les systèmes de lancement de satellites ont grandement profité des technologies et savoir-faire développés pour la force de dissuasion.
Petit historique et grandes dates :
La politique spatiale française repose sur deux piliers principaux : d’une part, un programme national, notamment pour les filières intimement liées à la défense (télécommunications sécurisées, imagerie optique haute/très haute résolution, renseignement d’origine électromagnétique) et, d’autre part, une intégration européenne pour les domaines moins sensibles (missions scientifiques, météorologie, océanographie, télécommunications civiles) ou nécessitant une mutualisation des moyens (systèmes de lancement, navigation par satellites).
L’intégration européenne repose historiquement sur l’Agence spatiale européenne (ESA), créée en 1975, pour le développement des systèmes spatiaux et sur d’autres entités pour leur exploitation opérationnelle (Eumetsat pour la météo, Eutelsat pour les télécommunications, l’Union européenne pour la navigation par satellites et pour le programme Copernicus d’observation de la Terre).
Témoignages :
Jean-François Clervoy
Jean-François Clervoy
Le débat sur les vols habités n’est pas nouveau, mais il semble que des gens comme Elon Musk et Jeff Bezos l’ont relancé.
C’est certain. Avec Musk et Bezos, on est beaucoup dans l’effet d’annonce. Mais pas seulement: la nouveauté, c’est qu’on a affaire à des gens qui n’ont pas la mentalité de chercheurs, mais d’entrepreneurs.
Les vols spatiaux non commerciaux ont deux grandes finalités : l’exploration ou la recherche.
Dans l’exploration, on ne cherche pas à résoudre des problèmes scientifiques: c’est porté par notre instinct de curiosité, notre quête noble du savoir.
Il y a deux types de vols : habités ou automatiques, et pour ceux-ci encore deux sous-types : les sondes qui sont envoyées in situ, mais cela ne concerne pour l’instant que le système solaire (quand même jusqu’à Pluton, qui a été survolé en 2015 par la sonde américaine New Horizons, après un voyage de seulement quatre ans, ce qui était une prouesse), et les observations par télescopes pour ce qui se situe au-delà du système solaire.
“On cherche partout la vie, ou des conditions qui pourraient la rendre possible”
Les performances ont fait un bond : on découvre sans cesse de nouvelles choses. Par exemple, les robots américains successifs sur Mars ainsi que la sonde européenne Mars Express ont bouleversé notre connaissance de cette planète. On sait maintenant qu’il y a eu de l’eau sur Mars, qu’il y en a encore sous forme de glace aux pôles, et peut-être même encore de l’eau qui ruisselle à la surface occasionnellement, puisqu’on en voit les traces.
La question est maintenant : y a-t-il de l’eau souterraine ? Le prochain robot européen du programme ExoMars ira d’ailleurs forer à 2 mètres de profondeur pour le confirmer. Bien entendu, tout cela est fait dans le but de savoir si la vie a existé ou pourrait exister sur Mars.
On dirait que ce domaine est la chasse gardée des Américains.
Pas du tout! Les Européens ont obtenu de grands succès eux aussi, par exemple avec l’exploration de Titan (une des lunes de Saturne) par la sonde Huygens, qui a montré que Titan est assez semblable à la Terre, mais une Terre où l’eau serait remplacée par du méthane liquide, ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une espèce de vie basée sur le carbone.
La sonde orbitale européenne ExoMars lancée en 2016 a pour mission de détecter et analyser le méthane présent dans l’atmosphère de Mars pour déterminer s’il provient de l’activité volcanique, ou s’il pourrait être d’origine biologique.
Bref, on cherche partout la vie, ou des conditions qui pourrait la rendre possible. On a déjà trouvé dans l’espace des briques élémentaires du vivant, comme des acides aminés, mais on n’a pas encore trouvé d’ADN complet…
Cette exploration porte des défis immenses pour les ingénieurs. On sait par exemple qu’à la surface d’Europe, une lune de Jupiter, il existe une couche d’eau de 100 km d’épaisseur : on pense déjà à aller explorer cette mer gigantesque par des mini sous-marins automatiques.
Au fond, la motivation de toute cette exploration est bien représentée par la devise du capitaine James T. Kirk du vaisseau Enterprise de Star Trek: « Explorer de nouveaux mondes étranges, rechercher de nouvelles formes de vie, et avec audace, aller où l’on n’est jamais allé ! »
Dans tout cela, quelle est la place du vol habité ?
Fondamentalement, le vol habité a de l’avenir parce que, dans l’espace, l’humain peut se montrer beaucoup plus performant que le robot. Par exemple, les astronautes d’Apollo 17 ont parcouru plus de 30 km sur la Lune en trois jours seulement, alors qu’il a fallu plus de dix ans aux robots martiens pour parcourir la même distance.
Les missions robotisées sur Mars ont pour but de trouver les meilleures zones pour y envoyer un jour des humains. Si on pense que nous pouvons avoir besoin un jour de nous établir ailleurs que sur la Terre, il faut bien commencer à regarder, mais il faut le faire de façon raisonnable.
D’ailleurs, l’investissement financier dans ces explorations reste très modeste : le programme de vol habité de l’ESA représente 1 euro par an et par habitant pour les 10 pays de l’Agence qui y participent.
Que penser du tourisme spatial ?
Notre expérience me rend plutôt réservé : ainsi, quand on a ouvert les vols sur airzerog.com sur notre avion de vol parabolique à 5 000 euros HT par ticket, les 8 ou 9 premiers vols ont été vendus presque instantanément. Mais depuis, la clientèle se fait plus rare, et nous avons même dû déjà annuler un vol par manque de clients.
Cela dit, nous n’avons pas encore investi dans quelque forme de publicité que ce soit et avons compté essentiellement à ce jour sur un vivier de fans absolus, qui ont bondi sur l’offre dès qu’elle est arrivée en Europe. Le marché existe, mais ne justifie pas à lui seul un avion de type gros-porteur comme celui de Novespace. Nous remplissons actuellement 3 à 6 vols par an, pour des particuliers ou pour des entreprises qui privatisent le vol, comme Universal Studios qui est venu tourner une cascade de Tom Cruise dans notre avion.
Un de nos atouts est de proposer le plus grand volume disponible pour flotter en apesanteur. La gamme suivante du tourisme spatial consiste à faire vivre l’expérience complète du vol spatial à des non-professionnels pour 4 à 5 minutes. C’est le vol dit suborbital pour environ 200 000 à 300 000 euros le ticket. Le concept consiste à donner suffisamment d’élan à l’engin pour qu’il atteigne 100 km d’altitude verticalement, mais sans chercher à l’y maintenir.
Virgin Galactic avec son SpaceShip 2 et Blue Origin avec le New Shepard sont proches de terminer le programme de qualification de leurs vaisseaux respectifs. Enfin le summum du tourisme spatial consiste à offrir un vol orbital, 100 fois plus énergétique que le suborbital, à des particuliers très fortunés. Seuls les Russes à ce jour ont permis cette option à bord de leur vaisseau Soyouz desservant régulièrement la station spatiale internationale ISS. Le prix en 2001 était de 20 millions de dollars pour le premier touriste spatial, Denis Tito. Depuis, six individus ont suivi.
Plusieurs nouveaux projets florissent à des prix encore réservés à des multimillionnaires. Les Russes parlent par exemple d’ajouter un hôtel de luxe à l’ISS en 2022 pour 40 à 60 M$ selon la durée du séjour et une sortie en scaphandre dans l’espace en option.
Les projets de Musk et Bezos sont-ils crédibles ?
Elon Musk est totalement habité par sa vision personnelle, qui est d’aller coloniser Mars. Il agit souvent de manière excessive, mais il finit par gagner le respect. Quand il avait annoncé aux majors des lanceurs spatiaux qu’il allait les éliminer du marché, tout le monde a ri.
Aujourd’hui, et malgré l’échec de ses trois premiers lancements, la société SpaceX d’Elon Musk a conquis une bonne partie du marché des lancements spatiaux au détriment du lanceur Proton des Russes et aussi du lanceur européen Ariane…
Cependant, ses annonces récentes concernant la colonisation de Mars font douter. En 2016, au congrès international de Guadalajara, tout le monde considérait comme très exagéré son projet d’envoyer 100 personnes sur Mars en 2025. Et même s’il dit avoir revu à la baisse ses ambitions quand il est revenu l’an dernier à Adélaïde en annonçant que ce ne serait finalement que 40 personnes, mais dès 2024, on doute toujours car, ne serait-ce que sur le facteur humain, il reste encore des questions physiologiques non résolues.
Il a cependant une approche industrielle vraiment innovante, avec des défis énormes, comme envoyer 150 tonnes en orbite basse avec son nouveau lanceur BFR !
Jeff Bezos est dans une approche plus pragmatique, beaucoup plus discrète que Musk. Il a commencé par le domaine suborbital, pour lequel il est le plus avancé, et développe actuellement des lanceurs orbitaux réutilisables New Glenn qui rivaliseront certainement avec ceux de SpaceX dès le début de la prochaine décennie.
Il vise aussi Mars dans l’étape suivante. Il faut avouer que Musk et Bezos ont réveillé le domaine : leurs projets suscitent beaucoup d’enthousiasme chez les jeunes, et éveillent des vocations. C’est très bien. Mais il faut être conscient que cela ne va pas aller aussi vite qu’ils l’annoncent : à mon avis, il faut bien rajouter dix ans à leurs annonces, avec un premier survol habité de Mars (sans s’y poser) au mieux des années 2030, et peut-être se poser sur Mars dans les années 2040.
Que t’a apporté l’X dans ta vocation d’astronaute ?
D’abord, j’observe à l’X beaucoup d’intérêt pour l’Espace, avec la création du binet AstronautiX et l’influence très positive d’experts comme Gérard Auvray (ex-Thales). Il a su communiquer sa passion et son savoir aux élèves, et les a aidés à booster leur club spatial, jusqu’à en faire aujourd’hui un centre spatial étudiant capable de mettre sur orbite un satellite X-CubeSat (cf. article « Le Centre spatial étudiant : une aventure polytechnicienne » dans la J & R n° 727).
Ce que l’X m’a apporté ? D’abord, elle m’a permis de me démontrer à moi-même que j’étais capable de comprendre beaucoup de choses très pointues si j’en prenais vraiment la peine ! Ensuite, le sens de l’engagement (que j’avais déjà commencé à développer pendant ma prépa au prytanée de La Flèche) ; et surtout le plaisir d’apprendre dans toutes les disciplines au niveau scientifique le plus élevé… sans oublier une dose massive de sport, ce qui n’est pas banal dans une grande école, et qui m’a bien servi pour ma carrière d’astronaute.
Jean-François CLERVOY
L’Espace, enjeu de souveraineté pour la France et pour l’Europe
Caroline LAURENT & Elyès JAILLET
L’espace permet d’agir vite, de façon globale et sans dépendre de tiers. Véritable multiplicateur des capacités de la défense, il contribue de manière essentielle à la souveraineté nationale et à l’autonomie stratégique, en apportant leur pierre à l’indépendance...L’Espace, enjeu de souveraineté pour la France et pour l’Europe
L’espace permet d’agir vite, de façon globale et sans dépendre de tiers. Véritable multiplicateur des capacités de la défense, il contribue de manière essentielle à la souveraineté nationale et à l’autonomie stratégique, en apportant leur pierre à l’indépendance d’appréciation de situation, de décision et d’action.
Nous sommes entrés dans l’ère de l’information, une information source de richesse et de puissance pour celui qui sait la maîtriser. Qui maîtrise l’information prend en effet un temps d’avance sur l’adversaire ou le compétiteur.
Le monde dans lequel nous évoluons est devenu un monde globalisé, « crisogène », marqué par une dissémination géographique de multiples risques et menaces, de toute nature. Pour traiter ces risques et ces menaces, nous avons besoin de plus en plus de renseignements et de capacités d’anticipation, c’est-à-dire d’informations élaborées.
Voir, écouter, communiquer et localiser
Pour mener à bien ses missions militaires, la France a besoin de capacités propres d’évaluation de situation, de planification et d’action.
“Galileo compte déjà aujourd’hui 22 satellites en orbite”
Il s’agit de disposer d’une supériorité dans la connaissance qui garantisse un temps d’anticipation sur l’adversaire, d’obtenir une vision commune et partagée de la situation qui puisse garantir une efficacité militaire optimale, et enfin de pouvoir communiquer à tout moment de façon sûre et indépendante, pour assurer les liaisons entre les centres de commandement et les théâtres extérieurs.
Les satellites jouent un rôle majeur, en synergie avec l’ensemble des autres moyens militaires.
L’espace étant un domaine libre d’accès, il est un atout majeur pour la préparation et la conduite des missions, sans nécessiter un affichage politique fort de la position nationale: les satellites survolent les territoires, prennent des photos ou écoutent les communications en toute transparence pour le pays concerné.
Un engagement ancien
La France s’est très tôt engagée dans l’utilisation de l’espace à des fins militaires. Elle s’est dotée, seule ou en coopération, de satellites d’observation, d’écoute et de télécommunications sécurisées.
Elle a développé les satellites Helios puis Helios 2, en coopération avec l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et l’Allemagne. En outre, des accords avec nos partenaires italiens et allemands nous permettent d’accéder à leurs capacités d’observation radar Cosmo-SkyMed et SARLupe en échange d’un accès réciproque au système Helios 2.
Enfin, les satellites Syracuse 3 couvrent nos besoins dans le domaine des télécommunications militaires spatiales et offrent, avec les satellites britanniques et italiens, des moyens de communication à l’Otan.
Un nécessaire renouvellement
La période 2019-2022 sera marquée par le renouvellement de ces capacités d’observation et de télécommunication et, pour la prochaine décennie, par la mise en place d’une capacité d’écoute opérationnelle.
Dans le domaine de l’observation, la composante spatiale optique CSO assurera la relève des satellites Helios 2 à partir de fin 2018. La mise en place de coopérations bilatérales sur CSO avec nos principaux partenaires militaires européens sera poursuivie (comme cela est déjà le cas avec l’Allemagne). L’accès de l’Union européenne à cette capacité et la fourniture d’images au bénéfice de son Centre d’imagerie satellitaire sont en cours d’instruction.
Nos discussions avec l’Italie en vue d’un échange capacitaire optique-radar (comme c’est déjà le cas avec l’Allemagne) se poursuivent en vue de renforcer notre capacité d’observation « tout temps ».
Concernant l’écoute, les satellites Ceres sont destinés à l’interception, la caractérisation et la localisation des signaux électromagnétiques permettant ainsi de cartographier et d’analyser le fonctionnement des émetteurs et d’optimiser l’efficacité de nos plateformes et effecteurs.
Des capacités de communication accrues
S’agissant des communications, les années à venir seront marquées par la mise en œuvre dès 2021 de la capacité militaire Syracuse 4 qui succédera progressivement à la génération actuelle, et par un accès accru à l’Internet haut débit sur le champ de bataille, via la poursuite d’une coopération exemplaire avec nos amis italiens, grâce au satellite dual Athena-Fidus.
La France, pour compléter ses capacités de communications sécurisées, a privilégié un schéma de coopération sous leadership italien : le programme Sicral 2.
Enfin, la France dispose également, grâce à l’Europe, d’une capacité temps et navigation avec la montée en puissance du programme Galileo qui compte déjà aujourd’hui 22 satellites en orbite.
Nouveaux enjeux et nouvelles menaces
La période à venir doit aussi servir à préparer le futur de nos capacités à l’horizon 2030, aussi bien pour traiter les enjeux « traditionnels » que les nouvelles menaces. Le domaine spatial a fait l’objet d’une attention particulière dans les travaux de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui se sont achevés en octobre dernier.
Celle-ci rappelle l’importance stratégique que revêtent nos capacités spatiales pour nos armées, et souligne les nouvelles menaces que présente le spatial, en mettant notamment en avant la relative vulnérabilité de nos systèmes dans un espace exoatmosphérique où l’augmentation importante du nombre de satellites en orbite renforcera les risques de destruction d’un satellite.
Un belligérant pourra chercher à exploiter la dépendance de son adversaire vis-à-vis de ses moyens spatiaux en déployant des armes dans l’espace capables d’agresser les satellites adverses.
Les évolutions récentes permettent en effet à un nombre grandissant d’acteurs étatiques comme non étatiques de disposer de capacités autrefois réservées à un nombre restreint d’États et de grandes puissances.
Des dangers nouveaux et difficiles à cerner
Dans le même temps, des comportements suspects, illicites voire agressifs dans l’espace ont déjà été observés et des travaux sont en cours pour essayer de mieux réglementer les activités (notamment commerciales) amenées à s’y développer.
La difficulté est de détecter et de caractériser un comportement agressif, d’en attribuer la responsabilité et de mettre en place des réactions proportionnées.
Les évolutions récentes ont ainsi vu l’émergence de nouvelles menaces liées à la banalisation de l’espace, la prolifération des technologies, la densification du trafic, et sa militarisation. Les capacités antisatellites ont fait l’objet de deux démonstrations officielles: le 11 janvier 2007, la Chine a lancé un engin dérivé d’un missile balistique pour détruire par interception un de ses satellites de météorologie sur son orbite opérationnelle; le 14 février 2008, le gouvernement américain a détruit par un tir de missile SM-3 son satellite de reconnaissance USA-193 avant sa rentrée incontrôlée dans l’atmosphère.
Garantir l’autonomie et la résilience de nos moyens
Face à ce constat, deux questions se posent : celle de notre autonomie en matière de surveillance de l’espace (SSA : Space Surveillance Awareness) et celle de la résilience de nos capacités spatiales, devenues indispensables aussi bien à notre économie qu’à l’efficacité de nos opérations militaires.
En France, nous disposons du radar Graves pour la surveillance des orbites basses, de télescopes pour la surveillance de l’orbite géostationnaire et de quelques autres moyens complémentaires qui nous permettent d’apprécier la situation dans une certaine limite.
Mais nous devons accentuer et adapter nos efforts à différents niveaux : identifier les menaces, attribuer les comportements, s’assurer de la résilience, renouveler et augmenter nos capacités… Nous devons aussi accepter de coopérer en Europe et avec nos alliés pour être en mesure de protéger nos capacités spatiales.
À cet égard, la décision Space Surveillance and Tracking de l’UE est un premier pas vers un service européen de surveillance de l’espace qui permettra le suivi des objets en orbite, la protection de nos moyens et la lutte contre la prolifération de débris.
Nouvelles opportunités : le New Space, source de rupture
Certaines techniques utilisées pour la militarisation de l’espace sont duales et sont proposées par les industriels pour dépolluer les orbites d’intérêt, réparer ou ravitailler des satellites déployés. La DGA observe ces travaux avec intérêt. L’émergence du New Space est également source de nombreuses opportunités.
“Les acteurs industriels européens prennent une part active à la dynamique New Space”
Le New Space occupe aujourd’hui les médias du fait de la personnalité de ses promoteurs, mais celle-ci masque la réalité des ruptures. Désormais, un satellite n’est pas forcément un objet cher qu’il faut réaliser pour des raisons politiques ou opérationnelles, mais un contributeur à une stratégie de marché plus globale, souvent en lien avec le développement de l’économie numérique.
Nous nous réjouissons d’ailleurs que nos acteurs industriels européens prennent une part active à cette dynamique New Space.
De nouveaux processus industriels sont mis en œuvre qui impactent les chaînes de conception et de production (telle la nouvelle usine de fabrication d’assemblage des satellites OneWeb inaugurée par Airbus Defence and Space en juillet dernier à Toulouse).
Des ruptures porteuses d’avenir
Les principales ruptures en cours ou à venir sont la miniaturisation des composants et des satellites; la numérisation massive des satellites; leur interconnexion rapide et flexible dans l’espace ou avec d’autres objets ; les traitements s’appuyant sur l’intelligence artificielle, nécessaire à l’exploitation massive et rapide des données qu’ils généreront; des ruptures d’usage portées par une offre accrue de services.
Ce sont des opportunités à saisir pour la défense. Par exemple, la défense a noté avec intérêt et soutient l’initiative prise par le Cnes concernant le projet Argos for Next Generations et le projet qui vise à développer une filière industrielle de nanosatellites en partenariat avec Nexeya.
En outre, la défense pourrait avoir recours de manière accrue aux offres commerciales en expansion sur l’observation optique et les télécommunications, en réfléchissant à des architectures nouvelles pour les capacités futures. Ces architectures, par la seule présence de capteurs performants et en nombre accru, contribueraient d’ailleurs à une meilleure résilience de nos capacités nationales.
Ces évolutions nous conduisent à accompagner les développements technologiques et industriels qui nous semblent prometteurs (créateurs d’emploi et nous permettant de rester aux avant-postes de l’innovation); elles nous conduisent aussi à repenser nos systèmes pour tirer parti de ces innovations mais aussi pour préserver une capacité export dynamique.
Un nouveau modèle économique pour le spatial
Les évolutions et ruptures technologiques ouvrent la porte à de nouveaux intervenants et amplifient une concurrence industrielle mondiale exacerbée qui amène certains États (Chine, Russie, États-Unis…) ébranlés par l’intervention des acteurs privés, et préoccupés par leur capacité à être présents dans le domaine spatial, à apporter un soutien politique, économique et stratégique à leurs industriels.
Des atouts majeurs
L’ engagement spatial de la France, initié il y a plusieurs décennies, nous permet aujourd’hui de disposer de l’ensemble des compétences techniques, que ce soit dans la sphère étatique (au Cnes et à la DGA notamment) ou chez les maîtres d’oeuvre industriels.
Ces ruptures portées par le New Space représentent une opportunité d’apporter à nos citoyens des capacités et des services réservés jusqu’alors à certains États, mais elle constitue aussi une menace qui risque de faire perdre à l’Europe son industrie spatiale.
Faute de réciprocité dans l’ouverture des marchés, l’Europe est devenue une exception au niveau de l’économie mondiale: elle soutient son industrie sans lui donner de visibilité suffisante sur le marché européen ou sur le marché mondial.
Pour autant le secteur spatial n’a pas subitement basculé d’un contexte institutionnel à un contexte à dominante privée. Le budget annuel consenti par les États est encore largement dominant: de l’ordre de 80 G$ par an face à des investissements privés limités à 1 à 1,5 G$ par an dont les deux tiers aux Etats-Unis.
L’espace au service de l’ambition de défense européenne
L’espace est au cœur des enjeux stratégiques de notre outil de défense. Les moyens spatiaux sont un atout déterminant pour garantir à la France et à l’Europe une autonomie d’appréciation dans l’anticipation et l’évaluation des crises. Ils doivent se concevoir de manière globale et européenne.
Par exemple, nous devrions disposer d’une capacité d’alerte avancée, réalisée entre partenaires motivés, ce qui suppose que nous soyons capables de nous organiser. Pour cela, l’Europe devra aussi tirer parti des compétences uniques acquises par la DGA et l’industrie française dans ce domaine.
C’est en promouvant et en favorisant le partage des capacités spatiales entre Européens que nous donnerons un exemple concret de notre volonté de forger une identité européenne en matière de sécurité et de défense.
Caroline LAURENT
Depuis décembre 2014, Caroline Laurent, ingénieur générale de l'armement, est Directrice de la stratégie de la Direction générale de l’armement (DGA) et est élevée aux rang et appellation d’ingénieure générale hors classe de l’armement (4 étoiles). Elle est à ce titre responsable de la recherche et innovation de défense, de la stratégie industrielle et du soutien aux PME, des phases de préparation des programmes d’armement ainsi que de la mise en place de coopérations européennes (notamment avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie).Elyès JAILLET
L’Europe spatiale face aux grands défis sociétaux et au New Space
Nicolas CHAMUSSY
L’industrie spatiale a naturellement mobilisé ses compétences et ses technologies pour répondre aux grands défis qui se présentent aux êtres humains. L’industrie européenne doit également trouver une réponse à un nouveau défi, celui de la concurrence des acteurs du New Space....L’Europe spatiale face aux grands défis sociétaux et au New Space
L’industrie spatiale a naturellement mobilisé ses compétences et ses technologies pour répondre aux grands défis qui se présentent aux êtres humains. L’industrie européenne doit également trouver une réponse à un nouveau défi, celui de la concurrence des acteurs du New Space.
Quelle industrie peut contribuer simultanément à la sécurité et à la défense, à la recherche scientifique, aux solutions de connectivité, à la compréhension de l’environnement et du changement climatique, aux prévisions météorologiques et au rapprochement des Européens en les faisant travailler ensemble sur des projets ambitieux, si ce n’est le spatial ?
C’est un motif de fierté et une source de passion pour les femmes et les hommes qui travaillent à ces grands desseins. À titre d’illustration, prenons trois défis très différents que la filière spatiale européenne peut contribuer à relever.
Premier défi, comprendre notre environnement et le changement climatique
Les ECV (variables climatiques essentielles) sont des quantités physiques, chimiques ou biologiques définies par la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et qui, analysées isolément ou par groupes, permettent de caractériser le climat de la Terre.
Plus de la moitié de ces ECV ne peuvent être mesurées que par des satellites grâce à la répétition de leurs survols et à leur vaste couverture au sol.
À ce jour, nous ne connaissons pas les quantités de dioxyde de carbone émises et absorbées dans de nombreuses régions du globe, alors même que le gaz carbonique d’origine humaine est le responsable principal de l’effet de serre additionnel dû à l’homme.
Mesurer le CO2 dans toute l’atmosphère
Pour remédier à cela, la France, grâce à l’impulsion du Cospace (Comité de concertation État industrie sur l’espace), a décidé de développer le satellite Microcarb à l’occasion du sommet climat de Paris (COP 21).
“Nous ne connaissons pas les quantités de dioxyde de carbone émises et absorbées dans de nombreuses régions du globe”
Airbus Defence and Space en réalisera l’instrument, comportant un télescope et un spectromètre fonctionnant sur trois longueurs d’onde et reposant sur l’utilisation d’un réseau à échelle pour assurer la dispersion spectrale.
Le satellite, lancé vers 2020, sera ainsi capable de mesurer la teneur en CO2 sur l’ensemble de la colonne atmosphérique avec une grande précision (de l’ordre d’une partie par million). Il permettra d’obtenir, sur des pixels de 5 km par 6 km, la teneur en CO2 de l’atmosphère de toute la planète tous les quinze jours pendant au moins cinq ans, afin d’alimenter et d’enrichir les modèles.
Ce programme très ambitieux du fait des performances demandées, avec notamment une masse de seulement 200 kg, permettra de franchir une étape indispensable avant le développement d’un système européen, basé sur une constellation de satellites qui sera capable de distinguer les émissions anthropiques des flux naturels et donc de mesurer les effets des efforts des nations pour améliorer leur bilan carbone.
Deuxième grand défi : la connectivité partout, tout le temps
Pas question pour la génération Y, et celles qui suivent, de ne pas disposer d’accès de qualité à l’Internet partout et à tout moment, chez soi ou en déplacement. Or, plusieurs études récentes (Akamai, Commission européenne) démontrent que la France figure parmi les derniers du classement européen en matière de débit moyen pour accéder à l’Internet.
Le Président de République a souhaité que toute la population française ait un accès à très haut débit (30 Mbit/s) à l’Internet d’ici à 2022. En particulier, il a affirmé « envisager les complémentarités technologiques » entre la fibre optique, le mobile et notamment l’Internet mobile ou le satellite, jugeant « impossible de tenir la promesse de tirer de la fibre dans tous les logements de la République ». « Cette promesse est intenable technologiquement et financièrement », a-t-il insisté.
Une couverture exhaustive des territoires
De fait, une composante satellitaire est indispensable pour atteindre ces objectifs de couverture exhaustive du territoire, rapidement et à un coût raisonnable.
L’industrie française produit désormais des satellites géostationnaires à très haut débit avec des charges utiles flexibles, qui sont particulièrement bien adaptés à ce type d’objectif, en particulier dans les pays comme la France où certaines régions sont peu densément peuplées. Pour rester connecté à bord de bateaux ou d’avions, le satellite reste par ailleurs la solution la plus efficace et bien souvent la seule possible.
Enfin, la plupart d’entre nous ignore qu’un smartphone accède chaque jour aux données et services de plus d’une quarantaine de satellites (synchronisation de réseaux de télécommunications, prévisions météorologiques, cartes et plans, informations internationales…).
Une journée sans satellites aurait sur nos sociétés un impact aussi important qu’une journée sans automobile ou sans électricité.
Troisième grand défi : l’alimentation
Le défi d’une alimentation durable peut sembler a priori très éloigné des contributions de la filière spatiale, qui pourtant permet de cultiver plus et mieux sans polluer.
Grâce à des modèles agrométéorologiques, et à trois images satellites prises à des moments clés de la croissance des plantes, Farmstar, service innovant unique au monde, fournit aux agriculteurs abonnés des préconisations d’apports en engrais dans chaque zone de leurs parcelles, c’est-à-dire la juste quantité d’azote qui sera absorbée par les plantes. Le résultat est que le rendement est maximisé avec la juste quantité de fertilisants, qu’ils soient d’origine biologique ou chimique, limitant donc la pollution des sols.
Dans les bassins d’emploi de Farmstar, on observe une baisse du taux de nitrates dans les eaux souterraines, conséquence logique de l’absorption par les plantes de la totalité de l’azote épandu. À ce jour, plus de 800 000 hectares de cultures (blé, orge, colza et triticale) sont pilotés avec le soutien de Farmstar (qui permet en outre de prévenir le risque de verse et de détecter des maladies).
L’irruption du New Space : défi ou opportunité ?
L’industrie spatiale européenne a eu à faire face à un défi d’une tout autre nature : l’irruption du New Space dont les entrepreneurs cherchent à créer la rupture pour parvenir à faire du business sur des marchés spatiaux dont les barrières d’accès sont élevées avec des acteurs établis.
S’agissant des marchés institutionnels, le total des budgets spatiaux dans le monde s’élève à quelque 80 milliards d’euros par an. Plus de la moitié de ces montants sont investis par les seuls États-Unis dont la politique en la matière se résume en deux mots space dominance, ce qui explique le niveau de leur engagement budgétaire.
L’Europe, elle, investit près de 7 milliards d’euros (Union européenne, Agence spatiale européenne et États en direct) sous l’impulsion de politiques communautaires et nationales. Il y a donc une différence d’échelle (presque un facteur 10) et d’homogénéité: face à des « États-continents » tels que les États-Unis ou la Chine, l’Europe demeure un « continent d’États ».
En regard des 80 milliards d’euros de budgets annuels, le marché commercial/export accessible (services de lancement, satellites de télécommunications et équipements) avoisine les 8 milliards d’euros, et ce malgré l’essor des activités commerciales depuis les années 1980 et l’irruption du New Space.
L’espace reste donc majoritairement « institutionnel » et au service de missions étatiques (défense, science, exploration, météo…).
Des marchés très disputés
Les marchés commerciaux/export sont eux âprement disputés par les entreprises de tous les pays qui se sont dotés d’une industrie spatiale. En particulier par l’industrie spatiale manufacturière française qui y réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires. Cette répartition est unique au monde, la plupart des entreprises des autres pays dépendant bien plus des budgets publics.
L’industrie européenne, et tout particulièrement l’industrie spatiale française, est leader sur la plupart des segments de marché grâce à la fiabilité reconnue de ses solutions et à l’introduction d’innovations qui permettent une différenciation qui ne soit pas uniquement en termes de prix (satellites à propulsion électrique, plateformes de très grande capacité permettant de réduire le coût du mégabit par seconde, nouvelles technologies et approches de développement et de production dérivées du programme de mégaconstellations, charges utiles flexibles s’adaptant à la demande en télécommunications, télescopes compacts en carbure de silicium, gyroscopes à fibre optique, ventes de satellites, systèmes et services…).
Des acteurs du New Space en France
L’industrie française, compétitive et capable de prendre des risques compte tenu de sa grande exposition aux marchés commerciaux et export, a su prendre le virage du New Space. Ainsi plusieurs entreprises françaises au premier rang desquelles Airbus Defence and Space avec de nombreux équipementiers ont gagné les appels d’offres mondiaux relatifs au segment spatial de OneWeb (constellation de 900 satellites pour accéder à l’Internet dans le monde entier). La rapidité, les objectifs de coût requis transforment en profondeur les entreprises qui participent à cet effort: il y a désormais des acteurs du New Space en France.
Le New Space offre donc une opportunité de transformer toute notre filière du donneur d’ordre à l’équipementier. Il ne faut pas s’y tromper, aux États-Unis le New Space a une face cachée : la mobilisation de moyens étatiques considérables (de nombreux sous-systèmes et techniques étaient disponibles, déjà testés dans les technologies de l’information et le spatial), des cahiers des charges réduits au minimum quand ils existent, et la création d’un cadre juridique favorable pour n’en mentionner que quelques-uns.
La pression du tout numérique
Une partie de l’industrie spatiale française a entrepris sa transformation; cependant l’absence de GAFA européens doit inquiéter.
“Un smartphone accède chaque jour aux données et services de plus d’une quarantaine de satellites”
En Europe, l’industrie des technologies de l’information est très fragmentée (3 ou 4 opérateurs par pays, et même si la capitalisation boursière de Telefonica a pu dépasser 100 milliards d’euros, elle reste cinq fois plus faible que celle d’Alphabet/Google). Or la filière spatiale a d’ores et déjà besoin de cloud et d’instruments du big data et elle peine à trouver des offres aussi efficientes en Europe que les solutions offertes aux États-Unis.
L’évolution de la filière spatiale, grâce à la pression concurrentielle, à la digitalisation, au New Space va passer par une transformation des acteurs publics et privés, une interpénétration toujours plus grande avec le monde des technologies de l’information.
Une filière en pleine transformation
Le secteur spatial est devenu une part intégrante de la digitalisation de nos sociétés : il permet de produire et de traiter des données (dont certaines inaccessibles depuis le sol), de synchroniser les réseaux et de transférer des données.
Les solutions spatiales ont désormais investi la quasi-totalité des secteurs de l’économie et contribuent de manière parfois méconnue aux réponses à de grands défis sociétaux.
Le New Space introduit des ruptures : l’industrie spatiale française s’y adapte mais la transformation de toute la filière est en marche.
Nicolas CHAMUSSY
Nicolas Chamussy a été nommé au 1er Juillet 2016 Directeur de Space Systems au sein de la division Airbus Defence & Space, Président de Airbus Defence & Space SAS (ex-Astrium) et Président de Airbus DS SAS (ex-Cassidian).
Trois années cruciales pour l'Europe
Lionel SUCHET
L’Europe a su établir une politique spatiale cohérente, avec un accès à l’espace autonome et compétitif, une industrie et une communauté scientifique de premier rang. Grand acteur du spatial, l’Europe doit maintenant se préparer à répondre rapidement et efficacement à des défis...Trois années cruciales pour l'Europe
L’Europe a su établir une politique spatiale cohérente, avec un accès à l’espace autonome et compétitif, une industrie et une communauté scientifique de premier rang. Grand acteur du spatial, l’Europe doit maintenant se préparer à répondre rapidement et efficacement à des défis politiques et programmatiques.
La France, au travers des investissements qu’elle a réalisés via son agence nationale le Cnes et via l’Agence spatiale européenne (ESA), ainsi que les autres États membres et leurs agences nationales ont été à l’origine de la réussite de l’Europe spatiale, illustrée entre autres par les succès d’Ariane et Vega, de Météosat, de Rosetta/Philae ou du laboratoire Columbus.
Dès la fin des années 90, l’Union européenne (UE) a manifesté son intérêt pour le spatial, essentiellement en tant qu’outil au service de ses politiques sectorielles. Ainsi l’Union s’est engagée dans des programmes comme Galileo pour la navigation, Copernicus (programme de surveillance globale pour l’environnement et la sécurité), et de développement technologique au sein du Programme cadre de recherche et développement.
“La flexibilité et la gamme des schémas possibles de gouvernance sont une des clés du succès de l’Europe spatiale”
Le traité de Lisbonne a conféré à l’UE la personnalité juridique internationale lui permettant de négocier et conclure des accords internationaux et lui a conféré une compétence large et explicite dans le domaine spatial : l’Union est désormais en mesure de mener des actions, de définir et mettre en œuvre des programmes spatiaux et de coordonner les actions dans tous les secteurs du spatial européen.
L’Union a décidé d’utiliser pleinement l’outil spatial au service de ses politiques, ce qui renforce la visibilité politique du secteur spatial et garantit que les bienfaits de l’espace puissent profiter à tous, en termes de progrès de la connaissance, de services et d’applications, et d’innovation et de progrès technologique.
0,01 % du PNB européen
En dépit d’un investissement public qui demeure faible, puisque l’effort public européen pour le spatial représente seulement 10 % de l’ensemble des dépenses publiques pour le spatial dans le monde et 0,01 % du PNB européen (à comparer avec 0,25 % pour les États-Unis et 0,22 % pour la Russie), l’Europe est devenue première en termes de nombres de missions et de kilogrammes en orbite par euro public investi dans le spatial, et est leader dans de très nombreux domaines scientifiques et de service public comme la météorologie par satellite.
Une organisation protéiforme à plusieurs niveaux
Depuis l’entrée en jeu de l’Union européenne dans le domaine spatial, l’Europe spatiale est, plus encore qu’à ses débuts, une organisation protéiforme, combinant niveaux national intergouvernemental (ESA, Eumetsat) et communautaire, le tout au sein de coopérations et de partenariats multiples avec d’autres puissances spatiales et des acteurs du secteur privé (opérateurs et industriels).
Ainsi, les grandes missions spatiales scientifiques sont le plus souvent financées et développées via un partenariat entre l’ESA (plateforme, lancement et opérations) et agences et laboratoires nationaux (instruments). Les programmes de météorologie par satellite sont développés et exploités dans un partenariat entre ESA (développement des premiers modèles de vol) et Eumetsat (modèles récurrents et opérations).
Le programme Copernicus de surveillance de l’environnement et de sécurité est, quant à lui, une coopération entre Union européenne, agences européennes en charge de l’environnement, ESA et agences nationales.
La plupart des programmes de télécommunications par satellite de l’ESA sont construits autour d’un partenariat avec maîtres d’œuvre (Airbus, TAS…) et/ou opérateurs (Eutelsat, SES, Avanti…), ou agences nationales (Cnes, DLR).
Une multiplicité de schémas de coopération
Cette flexibilité et la gamme des schémas possibles de gouvernance sont une des clés du succès de l’Europe spatiale. Cela permet d’adapter les contributions de chacun à ses ambitions et à ses capacités, tout en mettant en commun les grandes infrastructures (centres techniques et d’opérations, moyens d’essais, installations de lancement…), afin de développer de manière coordonnée des capacités qui ne pourraient pas être développées par un seul État.
Une telle approche « à la carte » de l’intégration européenne, demandant une recherche permanente de compromis, a prouvé au fil des ans sa robustesse et sa flexibilité pour développer de grandes infrastructures et les mettre au service des utilisateurs.
Les rôles des principaux acteurs se déterminent selon le niveau considéré. Les États définissent les grandes orientations politiques pour l’espace en Europe et approuvent le financement et la mise en œuvre des programmes correspondants. D’autres entités, publiques comme Eumetsat ou la Commission européenne, ou privées telles qu’industriels et opérateurs, peuvent être amenées à définir également leurs besoins opérationnels pour des missions en partenariat.
Au niveau programmatique, l’ESA, les agences nationales, et à l’avenir également la GSA (Agence de l’UE pour l’exploitation du système Galileo) sont les agences de mise en œuvre de ces orientations.
Une large palette de missions et de compétences
L’Europe maîtrise toute la palette des technologies et des applications spatiales. Si elle a fait le choix au début des années 90 de ne pas se lancer dans la maîtrise autonome du vol habité et donc de se reposer sur ses partenaires (États-Unis et Russie) pour envoyer ses astronautes en orbite, elle est en revanche présente dans tous les secteurs de l’activité spatiale :
- les lanceurs, à travers la famille de lanceurs Ariane, Vega et Soyouz lancés depuis le Centre spatial guyanais et opérés par le même opérateur Arianespace, assurant une gamme très complète de services de lancement ;
- la science, avec une gamme de missions de tailles diverses s’intéressant à l’Univers, sa formation, son évolution, l’apparition de la vie, la compréhension de notre système solaire, la recherche d’exoplanètes, etc. ;
- l’observation de la Terre, avec des programmes scientifiques et opérationnels de météorologie, de sciences de la Terre et de surveillance environnementale ;
- la navigation, avec le programme Galileo plus précis que le GPS américain et que tous les autres systèmes mondiaux de navigation ;
- les télécommunications par satellite, avec en particulier le développement de nouvelles technologies pour les plateformes et les charges utiles (propulsion électrique, communications par laser, etc.) ;
- et même le vol habité, avec sa contribution à la Station spatiale internationale, au sein de laquelle six astronautes travaillent en permanence sur des programmes de recherche concernant la médecine spatiale (c’est essentiel pour les futurs programmes d’exploration habitée), la biologie, la physique des matériaux et la physique fondamentale.
Clarifier et renforcer les rôles
Au-delà de la gouvernance, l’Europe qui réussit est d’abord l’Europe des projets, celle d’Airbus et d’Ariane, celle de Rosetta/Philae et de Galileo. Cependant, avec l’avènement de l’Union européenne comme grand acteur du spatial, la gouvernance du secteur public va devoir encore évoluer pour plus d’efficacité.
Il nous semble qu’un renforcement des rôles de chaque acteur sur ses domaines d’excellence représenterait la gouvernance la plus efficace :
- un rôle politique renforcé pour l’Union et la possibilité de décider des grandes lignes de la politique spatiale européenne au sein du Conseil européen, sans pour autant remettre en cause la souveraineté des États ;
- un rôle programmatique et de mise en œuvre qui se répartirait entre ESA, agences nationales et la GSA ; une autonomie renforcée de l’industrie dans le développement des programmes spatiaux proches du marché ;
- et un rôle renforcé des communautés d’utilisateurs (scientifiques, institutionnels, privés) dans la définition et la fédération des besoins des futures missions spatiales.
Rayonnement extérieur et coopérations internationales
L’Europe doit relever le défi du rayonnement extérieur. Le spatial est perçu comme un outil de puissance mais aussi comme un facteur de développement économique grâce aux applications.
Cela entraîne l’émergence de nombreux nouveaux acteurs aux côtés des puissances spatiales établies (États-Unis, Russie, Japon, Europe).
L’Inde et la Chine ont des programmes spatiaux anciens mais déploient des efforts très importants pour monter en puissance. Des États aussi divers que la Thaïlande, la Mongolie, les Émirats arabes unis, le Chili ont des ambitions spatiales marquées.
Cela ouvre à la fois un potentiel de coopération et de compétition pour l’Europe ; il faudrait réorienter la diplomatie spatiale européenne vers ces émergents, sans pour autant négliger les acteurs établis. Cela passe à la fois par l’établissement de nouvelles coopérations politiques et programmatiques, et par des partenariats industriels plus étroits.
C’est à ce prix que l’Europe pourra continuer à jouer un rôle de premier plan sur la scène spatiale internationale dans les prochaines décennies.
Réactivité et agilité
Au-delà de ces défis politiques, l’Europe devra relever des défis programmatiques. Là encore, les évolutions à l’échelle globale imposent de s’adapter. Le New Space, né aux États-Unis, a révolutionné le monde du spatial en quelques années à peine.
En combinant l’esprit d’entreprise et les méthodes de la Silicon Valley, propres aux start-up, le potentiel applicatif du secteur numérique porté par les GAFA et les capacités de financement de quelques mécènes engagés, le New Space a engendré des acteurs aux succès spectaculaires, les plus emblématiques étant SpaceX, Blue Origin ou encore Planet.
Afin de ne pas se faire distancer dans la compétition industrielle et commerciale, l’Europe doit prendre le tournant de l’innovation, lancer des programmes plus agiles, augmenter l’appétence au risque, et construire des ponts entre le spatial et d’autres secteurs de pointe (numérique, robotique, etc.).
Le Cnes a d’ores et déjà traduit ce changement de paradigme dans son organisation interne, par la création d’une nouvelle Direction de l’innovation, des applications et de la science. La politique « Space 4.0 » de l’ESA vise à répondre à ce défi. Et la Commission européenne entend également appliquer les préceptes du New Space pour la prochaine période de programmation budgétaire (2021 à 2027).
De nouveaux modèles de développement
L’une des traductions concrètes de ces nouvelles orientations consiste à passer d’une logique de mise en place d’infrastructures à une logique de fourniture de services.
Les utilisateurs sont placés au cœur des programmes spatiaux, publics ou commerciaux. Cela couronne l’évolution du spatial depuis deux décennies, qui a progressivement fait du spatial un vecteur de croissance et de bénéfices socio-économiques, en plus de son traditionnel rôle d’instrument de puissance.
À l’échelle européenne, ce moment pivot correspond à l’arrivée à maturité opérationnelle des deux programmes phares de l’UE que sont Galileo et Copernicus. Après avoir bâti une infrastructure performante pendant plus d’une décennie, il s’agit à présent d’en tirer tout le potentiel applicatif, en favorisant l’émergence d’écosystèmes utilisant les données Copernicus et les signaux Galileo à l’échelle mondiale.
Des échéances cruciales pour la période 2021-2027
C’est dans ces trois prochaines années que sera décidée la part consacrée au spatial dans le cadre financier pluriannuel de l’UE pour les années 2021-2027, et donc que seront confirmés (ou non) le poids et l’ampleur des ambitions de l’UE pour l’espace.
C’est aussi à la fin 2019 que le prochain Conseil ministériel de l’ESA devra décider des prochains grands programmes européens, en particulier pour la science, l’exploration, le vol habité et la suite du programme Copernicus. C’est enfin en juillet 2020 que devrait se dérouler le premier vol de la nouvelle génération d’Ariane, Ariane 6, qui devra démontrer sa compétitivité sur un marché de plus en plus concurrentiel.
Et c’est sans nul doute durant ces trois prochaines années que seront posées les fondations de la nouvelle gouvernance du secteur spatial européen. L’investissement d’aujourd’hui représente les emplois de demain…, mais la technologie et les missions scientifiques d’aujourd’hui engendrent également les services et les applications de demain, dans une société axée sur l’acquisition et l’exploitation de connaissances.
Aussi est-il plus fondamental que jamais que l’Europe investisse de manière soutenue dans les domaines où sa maîtrise est reconnue et qui lui garantissent compétitivité, innovation et emplois à forte valeur ajoutée et à haute qualification.
Lionel SUCHET
Aspects économiques et implantations géographiques :
La France est le pays européen qui consacre le plus important budget à son effort spatial (plus de 2 milliards d’euros par an) et qui possède l’industrie la plus développée (17 000 salariés, dont plus de 60 % d’ingénieurs et cadres).
Les principales implantations géographiques sont :
Systèmes de lancement :
- basse vallée de la Seine : ArianeGroup (maîtrise d’œuvre lanceur et propulsion liquide)
- Gironde : ArianeGroup (propulsion solide)
- Guyane : CNES (base de lancement)
- Paris : CNES (siège social et direction des lanceurs)
Systèmes orbitaux :
- Toulouse : Airbus Defense & Space et Thales Alenia Space (maîtrise d’œuvre), CNES (maîtrise d’ouvrage)
- Cannes : Thales Alenia Space (maîtrise d’œuvre)