Le guidage et le pilotage des missiles balistiques MSBS

Plus légers, plus précis, plus fiables

Les équipements pour le pilotage et le guidage des missiles balistiques stratégiques

1958 : portée 100 kilomètres, ogive simple, précision meilleure que 1/1 000 de la portée.

2015 : portée supérieure à 6 000 kilomètres, ogives multiples, précision meilleure que 1/20 000 de la portée.

Une avancée considérable !

msbs portee doc

1958-1965 : période des CHOIX et des DEVELOPPEMENTS

En 1960 au moment où le Général de Gaulle décide la réalisation d'une force nucléaire stratégique (FNS), lancer un missile depuis une plate-forme fixe ou mobile et guider une ogive avec précision vers son but, et cela sans aucune aide extérieure, n'était réalisable que si on arrivait à maîtriser les technologies inertielles qui seules pouvaient conduire à des matériels fiables et compacts, compatibles avec des lanceurs opérationnels.

Les équipements de guidage-pilotage

La centrale inertielle est constituée à partir de deux types de capteurs : le gyroscope et l’accéléromètre.

Le grand soin apporté à la réalisation des gyroscopes et des accéléromètres permet de disposer d’un trièdre de mesure des forces appliquées au missile d’une grande stabilité (grâce à la très faible dérive des gyroscopes) et d’une mesure également très précise de ces forces (grâce à la grande précision des accéléromètres).

L’élément sensible de la centrale ou cœur inertiel comprend trois gyroscopes et trois accéléromètres ; il est monté sur trois axes de cardan sur lesquels sont placés des moteurs d’asservissement qui permettent au trièdre de mesure de garder l’orientation de départ (obtenue par « alignement » sur le nord et la verticale au lancement fournis par la CIN du sous-marin) par rapport à laquelle on connaîtra l’attitude du missile par lecture de la position des axes de cardan.

Les calculs qui, après avoir tenu compte de l’effet des forces de gravitation et des conditions initiales, donneront la vitesse et la position du missile sont effectués par le calculateur de guidage. A partir des données de la centrale inertielle et du calculateur de guidage des ordres sont envoyés au bloc électronique de pilotage pour positionner le missile autour de son centre de gravité en orientant la poussée des tuyères afin d'aboutir au point d’arrêt de la propulsion qui permettra à la charge utile d’atteindre le but fixé à l’issue de sa trajectoire balistique.

De bons rapports avec les Etats-Unis avaient permis à la société Sagem de prendre une licence de matériels de la société Kearfott adaptés à un projet d'engin balistique tactique de portée 100 kilomètres, mais qui se révélaient prometteurs pour des portées plus longues. Après la décision présidentielle et la première expérimentation nucléaire de février 1960, les relations avec les Etats-Unis se détériorent assez rapidement et la France doit avancer seule. Le choix de Sagem est fait et au cours d’une visite de M. Messmer, ministre de la Défense, la Centrale Inertielle de Navigation pour sous-marin (CIN) et la centrale du missile sol-sol SSBS sont présentées sous une forme acceptable, bien que non encore opérationnelle.

Le LRBA sera chargé des essais des matériels inertiels, en premier lieu des composants (gyroscopes et accéléromètres) et mettra en place dans son « laboratoire inertiel » des moyens uniques en France, permettant de simuler les ambiances et l’accélération du lanceur, et d’étalonner les composants avec la précision nécessaire pour le tir balistique.

LRBA : Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques

Le LRBA situé à Vernon (Eure) a été fondé en 1946 pour accueillir 150 spécialistes Allemands du missile balistique V2 de Peenemunde. Il est à l'origine des techniques et réalisations d'engins à propulsion liquide utilisées pour les études balistiques de base de la Sereb. Outre les évaluations et essais conduits dans son « laboratoire inertiel », il a eu un rôle important d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les programmes balistiques et spatiaux de la DGA. Fermé en 2013 ses compétences ont été transférées à l'établissement DGA/MI de Bruz près de Rennes (ex Celar)

Ces choix seront pleinement validés par le tir réussi du premier lanceur spatial Diamant en 1965 et par celui d’un engin guidé, le VE 231 G, lancé d’Hammaguir vers Djanet en 1965.

Pour la réalisation des systèmes inertiels de la FNS, comme pour la FNS elle-même d’ailleurs, la DMA (DGA depuis 1977) a adopté l’organisation de l’Aéronautique et l’a mise en place ex nihilo avec :

- une direction technique maître d'ouvrage ; le département engins, puis la Direction Technique des Engins (DTEN) créée en 1965, au sein de laquelle le Service Technique Engins (STEN) dispose d’un bureau guidage-pilotage spécialisé. Le groupe « Equipements » du Service Technique des Constructions et Armes Navales de la DCAN est pour sa part responsable de la CIN, centrale inertielle de navigation des sous-marins ;

- un systémier maître d'œuvre industriel : la Sereb.

L’effort financier en faveur de la FNS a été très important : la tenue des performances annoncées dans les délais prévus a permis d’éviter des dépenses qui auraient pu être beaucoup plus lourdes.

De 1965 à 1970 : la maîtrise des technologies indispensables

A la fin de 1965, on peut considérer que la définition des systèmes sol-sol SSBS et mer-sol MSBS de première génération est acquise et à la phase des études de base succède la phase de développement.

En 1967, la Sereb procède au lancement réussi des deux derniers lanceurs Diamant commandés sur marchés de la DTEN et le succès des études de base de guidage, de pilotage et de rentrée est avéré. Les essais en vol de développement de la première génération de systèmes se poursuivent jusqu’en 1971 avec les engins expérimentaux S112, M112, S01, S02, M012 et M013 qui permettent la résolution des derniers problèmes de mise au point et de figer les caractéristiques des équipements. La Sagem pour les équipements inertiels et les calculateurs de guidage de la première génération de SSBS, Electronique Marcel Dassault (EMD) pour les calculateurs des MSBS, Sfena et LCT pour les électroniques de pilotages et Air Equipement pour les vérins d’activation des tuyères fournissent des matériels de qualité.

En parallèle, le STCAN poursuit chez Sagem le développement des centrales inertielles devant fournir les références d’initialisation pour les engins embarqués.

La première centrale expérimentale CIN - M1 (gyroscopes flottants de première génération) est testée à partir de 1968 sur le sous-marin expérimental Gymnote.

Les développements sont confortés par un solide et ambitieux programme d’études générales. Ce programme comprend la francisation de certains composants importés des Etats-Unis, des études de gyroscopes à palier à gaz, d’accéléromètres à gyroscope balourdé (accéléromètre de très grande précision) et des études de logiciels de vol embarqués nouveaux dont l’avènement de calculateurs performants et miniaturisés allaient permettre l’emploi. Pour le deuxième étage du MSBS un système de pilotage par injection de fluide dans une tuyère fixe est mis au point avec succès et un calculateur de guidage plus puissant et moins encombrant que celui de première génération utilisé sur le SSBS permet de réussir la délicate opération d’alignement avant lancement des centrales inertielles de guidage sur les sous-marins à la mer.

1970 - 1980 : la mise en place des premiers systèmes balistiques

En 1970, les sociétés Sereb, Nord-Aviation et Sud-Aviation sont rassemblées pour former la SNIAS (Société nationale industrielle Aerospatiale) qui sera bientôt mieux connue sous le nom d’Aerospatiale. La direction technique des engins reçoit alors de plus grandes responsabilités en matière de conduite des programmes et le bureau guidage-pilotage du Service technique engins (STEN/GP) devient responsable de tous les programmes d’études, de réalisation et de maintenance.

des composants et systèmes inertiels ainsi que des calculateurs embarqués, tout en continuant à s’appuyer sur une assistance technique de l’Aerospatiale à qui sont confiées la maîtrise d’œuvre industrielle système, la rédaction des spécifications des matériels et l’étude des systèmes améliorés, à l’exclusion des études amont de composants. Tous les marchés d’approvisionnement et de maintenance de centrales inertielles, de composants inertiels et de calculateurs de guidage sont passés par le bureau guidage-pilotage (procédure du matériel B).

En 1970-1971, Le Redoutable reçoit ses centrales inertielles Marine CIN-M2.

Le premier tir d’engin guidé depuis le sous-marin Le Redoutable est effectué en mai 1971.

La première unité d’engin sol-sol S2 est opérationnelle en août 1971 et l’étude d’un engin S3 amélioré et durci aux explosions nucléaires rapprochées est lancée.

Les études d’amélioration des composants inertiels se poursuivent ainsi qu’un très gros effort pour disposer d’une centrale de guidage améliorée du point de vue précision et fiabilité, avec, pour cet équipement, la prise en compte d’un coût total de possession très amélioré par rapport aux centrales de première génération. Cette centrale réalisée par Sagem sur spécifications et suivi détaillé du développement par Aerospatiale équipera les engins M20, S3 et M4, la partie électronique étant adaptée pour chaque engin.

Les travaux financés par les programmes balistiques contribuent grandement à faire progresser en France les techniques de miniaturisation électronique avec l’utilisation, tout d’abord, des circuits intégrés hybrides, puis des circuits intégrés à grande échelle (LSI). Il en résulte des équipements électroniques plus fiables, moins volumineux et consommant moins, ainsi que des calculateurs plus puissants et plus compacts qui vont faire progresser considérablement la précision et les possibilités des engins balistiques. Par ailleurs, les équipements électroniques sont dorénavant durcis contre les effets des explosions nucléaires.

De 1973 à 1976, grâce à une campagne d’essais approfondis sur éléments réels à l’Aerospatiale et au LRBA, des difficultés de fiabilité rencontrées pour l’alignement des centrales de guidage à la mer sont résolues.

Une nouvelle loi de guidage pour engin à ogives multiples est développée pour l’engin M4 et est qualifiée sur un vecteur d’études de base EBE en 1978.

En 1979, plus de 400 systèmes inertiels de guidage avaient été livrés par Sagem et EMD pour les engins balistiques et les premiers équipements des engins de nouvelle génération S3 et M4 sont en production.

De nombreuses études de nouveaux composants inertiels plus performants ont été initiées.

On peut citer notamment les études de gyroscopes secs à joint flexible (variante très proche des gyroscopes des centrales de navigation des avions, ce type d’appareil a vu le jour aux Etats-Unis dans les années 1970 ; il a été développé et industrialisé en France par la société Sagem sur la base d’une licence de la société américaine Kearfott). Peut être cité aussi le gyroscope laser, développé à la Sfena sur la base d’une étude DGA/DRME chez Quantel, qui met en œuvre un capteur à effet doppler dans une cavité excitée par un rayon laser, le capteur délivrant directement une information digitale gyrométrique. Le capteur Sfena sera utilisé ultérieurement sur le lanceur Ariane en remplacement de la centrale Ferranti initiale. Furent conduites également des études d’accéléromètres de divers types.

Les années 1980 : mise en service de la deuxième génération balistique et stratégique

Le SSBS S3 entre en service en 1980.

Le développement du M4 est achevé. Le M4 bénéficie dès sa mise en service de l’introduction d’une correction en vol des erreurs des systèmes de guidage (technique appelée également compensation des erreurs, traduction littérale du mot utilisé par les Américains, qui permet d’augmenter la fiabilité des équipements de guidage en prenant en compte la dimension « précision », élément fort important dans l’efficacité d’un système d’armes de missiles nucléaires). La technique consiste à mesurer périodiquement les erreurs intrinsèques de base accessibles à la mesure, en utilisant la gravité locale et la rotation de la terre comme étalons ; puis à introduire les éléments appropriés dans le calculateur de guidage, qui au cours du vol effectue les corrections associées.

Le calculateur de guidage réalisé par ESD (Electronique Serge Dassault - ex-EMD) représente un saut technologique important en matière de miniaturisation de l’électronique et de fiabilité.

La réalisation des dispositifs de puissance pour le pilotage du missile M4 (accumulateur hydraulique sous pression, pompe, vérins hydrauliques) est confiée à Air Equipement pour les premier et deuxième étages et à la Société des avions Marcel Dassault pour le troisième étage et le système propulsif d’espacement des ogives multiples.

L’électronique de pilotage (bloc de commande) a été réalisée par la Sfena.

Le M4 entre en service en 1985.

L’augmentation de portée envisagée pour les systèmes MSBS post-M4 conduit, pour maintenir la précision requise, à rechercher une diminution des différents postes d’erreur du bilan de précision. C’est ainsi qu’au-delà des techniques de compensation des erreurs des composants inertiels sont lancées les études d’un accéléromètre de principe nouveau ; l’accéléromètre à poutre vibrante (accéléromètre dans lequel la fréquence propre de vibration est sensible à l’accélération et qui délivre également et directement une information digitale qui permet une intégration temporelle sans erreur ; il a fait l’objet d’une étude confiée à la Sagem) et sont relancées les études d’accéléromètre à gyroscope balourdé. Est également lancée l’étude d’un viseur stellaire ; cet équipement dont l’étude avait été initiée dans les années 70 puis abandonnée après quelques années, a pour but, par visée sur des étoiles connues, de recaler avec précision pendant la phase propulsée le trièdre de référence dans lequel sont effectués tous les calculs de navigation.

La recherche d’une réduction de la masse des équipements et de l’augmentation de la fiabilité a conduit le bureau guidage-pilotage à maintenir une activité d’étude soutenue ; gyroscopes secs à joint flexible et gyroscopes laser, centrale à composant liés (strapped down) dans laquelle les composants inertiels sont solidaires de la structure de l’équipement, génération de puissance de pilotage par générateur de gaz et turbopompe, vérins électriques de pilotage (au lieu des vérins hydrauliques équipant les générations antérieures de missiles).

1990 - ? : la pression sur les coûts

Les changements intervenus à l’Est font passer d’une logique privilégiant l’accroissement des performances à celle d’une diminution du coût à iso-performances. Le budget d’investissement consacré à la force de dissuasion est réduit. Le programme successeur du M4, le M45, est ralenti et transformé en programme M51 en 1995.

Le M45 (mis en service en 1996) et le M51 doté d'un recalage par visée stellaire (mis en service en 2010) ont cependant une portée accrue nécessitant un guidage plus précis.

Des progrès considérables sont obtenus en matière de précision et de coût des composants inertiels avec la maîtrise des nouvelles technologies : accéléromètre à poutre vibrante par Sagem devenue Safran et utilisation de gyromètres laser pour centrales à composants liés par Sextant Avionique (devenu maintenant Thales Avionique) et également par Safran.

Les études d’amélioration continuent à être conduites, mais sur le principe « plus simple donc moins cher ».

Daniel Pichoud, IGA (2S)