Les besoins et objectifs de chacun des acteurs

Les besoins opérationnels

La mission de base sur laquelle travaillaient, dans les années 70, les opérationnels de tous les pays était la mission antichar dans le cadre d’un conflit Otan - Pacte de Varsovie. Il s’agissait principalement, par rapport aux versions existantes, de passer à une deuxième génération d’hélicoptères antichars, tout d’abord en leur donnant la capacité de vol et de tir de nuit, mais aussi en leur ajoutant des caractéristiques de furtivité et de résistance aux environnements de combat. Ces nouvelles exigences imposaient des sauts technologiques importants dans de nombreux domaines : l’optronique (caméras IR), l’informatique, les transmissions, les détecteurs, les contre-mesures, mais aussi les domaines de la cellule : la discrétion, la vulnérabilité, la résistance au crash. Les réalisations américaines sur ces technologies (1er vol de l’Apache le 30 septembre 1975) servaient de référence pour la définition des caractéristiques militaires. Par ailleurs, pour diminuer la vulnérabilité des hélicoptères, l’évolution vers un missile antichar de type « tire et oublie », l’AC 3G en cours de développement, était prévue.

Pour les opérationnels français, la menace que constituaient dans ce même contexte les hélicoptères armés soviétiques Mi24 « Hind » nécessitait de doter nos unités d’hélicoptères armés et d’hélicoptères de manœuvre d’une capacité d’autodéfense, c’est-à-dire de « protection » contre les hélicoptères adverses. Par ailleurs, l’hélicoptère armé futur devait pouvoir appuyer de ses feux les unités terrestres. Compte tenu des masses respectives des armements concernés, il n’était pas possible d’équiper un même appareil de toutes ces capacités tout en lui conservant sa légèreté, son agilité, sa maniabilité. Ces qualités étaient en effet indispensables pour pouvoir pratiquer le « vol tactique », c’est-à-dire se faufiler dans le relief et parmi les obstacles au ras du sol. Ainsi est née l’idée d’une version « hélicoptère d’appui-protection » (HAP) à côté de la version « antichar », idée très tôt défendue par les acteurs français .

Les positions des acteurs

En définitive, à la fin des années 1970, les Français et les Allemands disposaient d’une base significative de coopération : une mission antichar de même niveau, un calendrier comparable et une réelle volonté politique de coopérer, mais avec des positions de départ ou des arrière-pensées différentes. Français et Allemands s’opposaient en particulier sur les choix, faits a priori, de solutions techniques précises. Ces conflits avaient souvent des raisons d’ordre politique et industriel, mais ils résultaient aussi de divergences d’appréciation en matière opérationnelle et technique.

D’une part, les tactiques d’emploi en mission antichar étaient différentes. Pour les Allemands, l’hélicoptère devait être posté en vol stationnaire sur des emplacements repérés à l’avance. Pour les Français, l’hélicoptère devait être en mouvement, à la recherche de positions de tir.

D’autre part, l’appréciation sur les risques techniques et la façon de les maîtriser étaient également très différentes. Côté français, la direction des constructions aéronautiques (DCAé) réalisait une préparation technique exhaustive fondée sur les études amont et les développements exploratoires. Les résultats de cette préparation incitaient à la confiance dans les solutions européennes. Côté allemand, cette préparation était beaucoup plus réduite et lacunaire, la confiance allait alors vers la technologie américaine.

Ainsi, les positions des différents protagonistes étaient très différentes :

Les opérationnels allemands voulaient surtout, à défaut de l’Apache AH-64, la technologie optronique américaine, les systèmes TADS-PNVS [1] de cet appareil, seuls systèmes éprouvés, avec une cellule AS-MBB de mêmes caractéristiques que celle de l’Apache.

Les opérationnels français voulaient un hélicoptère le plus léger possible, pour le vol tactique, doté d’un système de combat de préférence européen, mais surtout avec les capacités d’appui-protection (HAP).

L’industriel allemand MBB, qui se serait probablement contenté de la fabrication sous licence de l’Apache, était satisfait de réaliser, en maître d’œuvre, un appareil nouveau : le PAH2.

L’industriel français AS tenait avant tout à préserver son leadership sur le futur hélicoptère moyen (futur NH90). Le programme d’hélicoptère armé, à réaliser sous la responsabilité de l’Allemagne, était un passage obligé.

Le ministère de la défense allemand, qui avait des accords avec ses homologues américains sur la fabrication du TADS-PNVS, soutenait la solution d’un PAH2-(TADS-PNVS), conformément aux exigences des opérationnels, préservant ainsi ses relations avec les Américains.

Le ministère de la défense français voulait un hélicoptère et des systèmes européens, avec principalement le système antichar de 3ème génération (« AC3G »/ « PARS3 ») en cours d’étude en tripartite (UK-RFA-FR), prévu justement pour équiper véhicules et hélicoptères dédiés à cette mission.

Il faut noter, en complément, que la notion de « système » posait encore quelques problèmes au sein même du ministère de la défense. François Lureau avait dû dépenser beaucoup d’énergie pour expliquer, jusqu’au délégué, toutes les implications qui résulteraient de l’adoption d’un « équipement » tel que le « viseur américain ». On entrait avec cet hélicoptère dans l’ère des systèmes d’armes et la question ne se réduisait pas à monter tel ou tel équipement standardisé sur une cellule. Cette nouvelle complexité ajoutait encore aux incompréhensions ou aux malentendus.

Les conditions d’une coopération sereine n’étaient donc pas réunies, d’autant plus que la coopération franco-allemande précédente, sur l’Alphajet (sous leadership français), avait laissé quelques rancœurs chez nos amis allemands. Par ailleurs, on allait découvrir progressivement des différences de culture et de pratiques très marquées entre militaires et entre ingénieurs des deux côtés du Rhin.

Il y avait, en définitive, deux références bien différentes dans l’élaboration des besoins et des objectifs : la Gazelle [Photo] pour les Français et l’Apache [Photo] pour les Allemands.

 

SA-342 Gazelle

SA-342 Gazelle

AH-64 Apache

AH-64 Apache

[1] “Target Acquisition Detection System/Pilot Night Vision System“ de Martin-Marietta (Lockheed).