Historique détaillé

Une genèse conflictuelle en coopération : 1975-1987

Les premières tentatives (1975-1981)

Les premières discussions franco-allemandes sur le sujet d’un hélicoptère armé commun ont donc eu lieu en 1975. Côté français, un directeur de programme [1] a été nommé, François Lureau, pour être, auprès d’Étienne Lefort, chef de la section voilures tournantes du STAé [2], l’animateur principal des négociations. Son homologue, le premier directeur de programme allemand, a été M. Wagner, qui avait été l’adjoint du directeur de programme allemand sur le programme Alphajet. Il parlait parfaitement français et avait surtout envie de vivre en France, ce qui facilitait les choses, même si les déplacements à Bonn et Coblence étaient nombreux.

L’instruction des questions sur le plan national était menée dans le cadre de l’équipe de programmes intégrées DGA-EMAT, sous l’autorité du directeur de programme et de l’officier de programme. De nombreux experts techniques des services de la DGA, et opérationnels de la Section technique de l’armée de Terre, intervenaient pour élaborer les avis et recommandations nécessaires aux décisions.

Ces discussions aboutirent à un accord en novembre 1976, permettant de lancer les premières études en commun entre la France et la RFA.

Sur cette base est lancée en 1978 une phase de faisabilité de six mois destinée à mesurer les principaux risques du projet. Cette phase a donné lieu à l’exploration d’un nombre considérable d’avant-projets et permis de comparer les différentes options ou préférences exprimées par les utilisateurs et ingénieurs. À titre d’exemple, on avait été, en France, jusqu’à construire des maquettes en bois de postes de pilotage dont une version dite « en tandem décalé », l’ALAT étant très hostile à la configuration tandem.

En fait, les points de vue se sont vite opposés sur de nombreux points. Les divergences entre français et allemands portaient non seulement sur les systèmes, mais aussi sur de nombreux aspects de la configuration de l’hélicoptère. Au-delà des performances et des caractéristiques, il s’agissait plutôt de divergences sur les solutions techniques que les opérationnels voulaient imposer. Du côté français, on commençait à se rendre compte que la masse de l’appareil serait sensiblement supérieure à celle du Dauphin qui restait, dans le prolongement de la Gazelle, une référence… et que le prix du programme dépasserait le double de ce que l’EMAT imaginait, qui était de l’ordre du milliard de F. Celui-ci était déjà plutôt de l’ordre de 3 milliards !

Bien que les options n’aient pas pu être levées durant cette phase de faisabilité, les gouvernements, soucieux de prolonger une coopération franco-allemande en déclin, ont décidé, par la signature du MOU du 16 octobre 1979, de poursuivre les travaux par une phase de définition, d’une part afin de résoudre les problèmes restants et, d’autre part, afin d’obtenir les principales caractéristiques du projet. Les objectifs de première livraison ont été repoussés à 1988.

Cette phase de définition de dix-huit mois s’est déroulée entre 1979 et 1981 et s’est terminée sur un constat d’échec en mai 1981. Les nombreux dossiers d’études présentés n’ont pas été de nature à remettre en cause les choix a priori des divers acteurs. On était donc loin en 1981 d’un dossier bouclé permettant de lancer la phase qui aurait dû suivre : la phase de développement. Les premières évaluations financières des différentes options dépassaient les budgets envisagés par les États.

Ainsi, cette première phase de coopération de cinq ans (1976-1981) a été un échec « diplomatique », puisqu’elle n’a pas permis le lancement du développement, mais a été en revanche une période particulièrement dynamique par les développements technologiques qu’elle a suscités.

Le repli en national (1981-1982)

À l’issue de la phase de définition avortée de 1979-1981, chaque pays s’est retrouvé confronté à ses options nationales. Pour les Allemands, l’alternative était l’acquisition de l’Apache, ou la fabrication sous licence, ou la réalisation d’un PAH2 avec une cellule MBB spécifique en utilisant le système TADS-PNVS. Pour la France, l’option nationale consistait à réaliser (ou non) un hélicoptère plus léger qu’en coopération, doté d’ensembles dynamiques (moteurs-rotors) existants (Dauphin) et avec des équipements de mission simplifiés (JVN [3] pour le pilotage de nuit, HOT), en deux versions (HAP-HAC).

La période mi-1981 à fin 1982 a donc été consacrée, après exploration d’un certain nombre d’avant-projets, à l’étude et la définition d’une telle version nationale. Une mise à jour du besoin opérationnel français a été faite préalablement, l’un des aspects les plus importants étant la priorité calendaire donnée, en février 1982, à la mission HAP. En effet, la mission antichar de nuit pouvait être envisagée par amélioration de la Gazelle HOT actuelle, alors que la mission de protection ne pouvait être remplie correctement avec des solutions de type Gazelle. Le calendrier de livraison HAP restait « le plus tôt possible » (1988/1989), alors que celui de l’HAC devenait 1995. Un dossier de lancement du développement a ainsi été constitué par le nouveau directeur de programme, Yves Gleizes, nommé en avril 1982. Pourtant, un faisceau de raisons, dont aucune n’apparaît déterminante, va conduire une fois de plus cette démarche dans l’impasse. D’abord la pression politique pour promouvoir les coopérations (surtout franco-allemandes) reste présente. Mais aussi, pour ceux qui voulaient vraiment cet hélicoptère, un programme en national n’aurait peut-être pas eu l’immunité apportée par le label « coopération ». C’était, enfin, une version séduisante par certaines performances HAP, mais limitée sur beaucoup d’autres aspects.

L’idée de la coopération, d’ailleurs, était loin d’être enterrée. Le 8 juillet 1982, des tirs de démonstration de missile HOT de nuit à partir d’un hélicoptère de servitude doté d’une caméra thermique européenne ont été organisés à Bourges par Euromissile devant les principaux acteurs français et allemands, pour mettre en évidence le dynamisme et les capacités de l’industrie européenne. Au même moment se déroulait le match France-Allemagne de demi-finale de la Coupe du monde de football (remporté par l’Allemagne 5 tirs au but à 4, match nul 3-3 après prolongations). Ces derniers tirs furent, à l’évidence, d’un intérêt beaucoup plus important que les tirs de HOT pour nos invités.

En septembre 1982, l’état-major de l’armée de Terre annonce l’abandon temporaire pour des questions budgétaires de la solution nationale. Et le nouveau directeur de programme, fraîchement nommé, se retrouve sans programme !

La relance de la coopération (1983)

Au mois de janvier 1983, il apparaît au plus haut niveau des États une volonté politique très forte de relancer la coopération en matière de défense. Dans la continuation du traité de l’Élysée, une réunion de relance a lieu en janvier 1983 au niveau des directeurs nationaux d’armement français et allemand.

Pour éviter de retomber dans une situation de confrontation stérile entre des acteurs intransigeants dont les exigences conduisaient à des projets hors de portée financière des États, il était nécessaire de créer les conditions permettant de faire des compromis et, en tout état de cause, de permettre une réduction des exigences. Il est ainsi décidé de rechercher un allègement des spécifications communes par un travail en petit comité, parfois en tête-à-tête, des directeurs de programme respectifs (Yves Gleizes, de la DGA, et Hans Jürgen Weiss, du Rüstung). Ce travail devait être supervisé par un comité directeur restreint (Georges Bousquet, Heyden), à charge pour eux de faire valider les allègements par leurs propres utilisateurs. Cette décision s’accompagne de l’annonce d’un besoin français de 215 hélicoptères (215 = 75 HAP + 140 HAC). Le besoin allemand est confirmé (212 PAH2).

Cette démarche a permis de résoudre de nombreuses divergences sur la configuration de l’hélicoptère, de son avionique et sur ses performances. Elle n’a pas permis de se mettre d’accord sur une version antichar commune, le conflit entre système américain et système européen restant affirmé. Elle a abouti à la rédaction de spécifications communes en novembre 1983, qui serviront de base au nouveau MOU [4], cette fois pour une phase de développement, signé le 29 mai 1984. Voir les éléments fondamentaux

Les premiers travaux de développement (1984-1986)

En application de l’accord du 29 mai 1984, l’organisation de conduite du programme se met aussitôt en place, sur le modèle symétrique de l’organisation du programme Alphajet.

Du côté des services officiels, le rôle d’agence exécutive revient au BWB [5]. Une équipe de programme allemande est donc mise en place à Coblence sous l’autorité du directeur de programme national, M.Ickenroth. Un ingénieur de liaison français, Michel Bruot, est envoyé à Coblence auprès de cette équipe pour faciliter les échanges entre les deux directions de programme nationales. Cette équipe a donc pour première tâche de préparer les contrats de développement conformément au MOU et, en particulier, aux spécifications (techniques) communes de novembre 1983.

Du côté industriel, MBB devient maître d’œuvre, la charge de travail devant toutefois être répartie de façon équilibrée entre les industriels des deux pays.

La première phase des travaux, conduite par l’équipe du BWB, sous l’autorité du comité directeur bipartite, consiste à préparer, de façon « harmonisée » entre les deux pays, les spécifications des contrats. Sur le plan administratif, ces contrats doivent être établis selon le droit allemand, et signés par le BWB et MBB. Cette phase d’intenses relations entre les divers interlocuteurs français et allemands a été l’occasion de mettre en évidence des différences insoupçonnées de culture entre les deux pays. Pour la plupart des participants, les premiers contacts ont été un choc. Les pratiques respectives étaient extrêmement différentes et il a fallu des années pour trouver un modus vivendi permettant dans un premier temps de travailler ensemble, puis de s’apprécier, puis plus tard de mettre réellement à profit la complémentarité des qualités respectives. Vu du côté français, l’équipe allemande mise en place dans cette première phase a donné l’image d’une équipe très autoritaire, portée avant tout sur les aspects juridiques et administratifs, mettant en œuvre de façon pas toujours pertinente des procédures extrêmement lourdes (américaines) et d’une compétence technique limitée, reposant sur les avis de l’industrie nationale.

Ainsi, la mise au point des innombrables spécifications, globales puis détaillées, en groupes de travail (Arbeitsgruppe) pléthoriques, dans des réunions bilingues avec traduction consécutive, donc interminables, s’est avérée extrêmement lourde et a donné lieu à des spécifications trop nombreuses, trop détaillées, exprimées non pas en exigences, mais en solutions techniques, toujours « polluées » par les conflits d’origine. Cette lourdeur a été partiellement responsable de l’explosion des masses et des coûts de l’hélicoptère qui s’ensuivit. Même si l’agence exécutive ne pouvait être tenue pour responsable des conflits de fond dont elle héritait, sa gestion du programme n’était pas de nature à les résoudre. Toute différence d’appréciation en groupe de travail trouvait finalement sa solution en ajoutant les exigences de chacun, processus évidemment très inflationniste en masse et en coût. C’est la méthode du consensus, chère à nos amis allemands.

Ce processus a rapidement mis en évidence l’incompatibilité des objectifs respectifs (en plus des questions techniques) : la priorité au respect des exigences techniques donnée par la RFA (politique du pire ?), la priorité à la maîtrise des coûts donnée par la France.

Le développement de nouveau dans l’impasse (1986)

Les travaux réalisés pendant cette période 1985-1986, qui sont essentiellement des travaux de définition encadrés par des procédures extrêmement lourdes et menés par des partenaires franco-allemands, étatiques et industriels, qui apprenaient à travailler ensemble, n’ont donc pas abouti. Il s’avérait impossible de respecter les performances demandées dans l’enveloppe financière envisagée, la clause plafond imposée par l'Allemagne étant utilisée par le côté français.

Une fois de plus, les États se replient sur leurs solutions nationales. C’est ainsi qu’un nouveau projet national est étudié par la France en 1986-1987 : le « P211 ». Plus ambitieux que celui de 1982, il prévoit cette fois deux versions HAP et HAC dotées d’équipements de mission de même classe que ceux des versions bilatérales : canon de 30 mm en tourelle, missiles air-air Mistral, roquettes, viseurs jour-nuit et conduite de tir associée pour la version HAP ; système AC3G pour la version HAC. L’hélicoptère, de classe 4,5 - 4,6 tonnes, était équipé d’ensembles dynamiques dérivés du Dauphin, et d’un moteur existant (RTM 322) de 1 566 kW (monomoteur). L’intérêt était de compenser l’absence de partage des frais fixes par l’utilisation d’éléments existants et surtout par un gain sur les coûts de série d’un appareil plus petit (monomoteur).

De nombreuses réunions bilatérales, aux niveaux des directeurs de programmes, du comité directeur, des directeurs des relations internationales, des directeurs d’armement, en grand ou en petit comité, n’ont pas permis de sortir de l’impasse. Lors d’une de ces réunions tenues le week-end dans la maison de campagne que M. Schnell (directeur d’armement allemand) possédait en Bourgogne, la délégation française a pu constater que les artisans français donnaient également du fil à retordre au DNA [6] allemand. Des audits sont lancés des deux côtés du Rhin, l’adjoint au DCAé en pilotant un pour le côté français, pour trouver des explications au blocage, à défaut de solutions. Leurs conclusions n'apportent pas d'éléments nouveaux.

L’arbitrage final sur les deux versions (1987)

Devant ces difficultés, c’est encore une fois une décision politique qui va relancer le processus de coopération et donner enfin la solution. La veille d’une réunion franco-allemande prévue au niveau des ministres de la défense, respectivement MM. Giraud et Woerner, André Giraud convoque le directeur de programme et l’officier de zone de la DRI [7] pour une présentation du programme et de ses difficultés. Pendant deux heures, dans le bureau du ministre, autour d’un petit guéridon rond, il lui est exposé les principales caractéristiques du programme et les problèmes rencontrés. Après le déjeuner, nouvelle convocation. Le ministre se propose de faire décider le lendemain avec son homologue allemand qu’il n’y aurait que deux versions au lieu de trois, c'est-à-dire une seule version antichar commune, sur la base du système antichar européen avec viseur de mât, le tout cadré par une clause de plafond pour les coûts de développement. Le système US TADS/PNVS ne serait plus qu’une solution de secours en cas d’échec de la visionique européenne. Le lendemain, le ministre allemand, convaincu par M.Giraud et connu par ailleurs pour sa francophilie, donne son accord !

À partir de cette directive des deux ministres, est donc préparé pendant l’année 1987 un amendement au MOU de développement du 29 mai 1984. Cet amendement est signé par les ministres le 13 novembre 1987. C’est sur cette base que sera enfin mis en place durablement le programme d’hélicoptère armé. On peut considérer que c’est l’acte fondateur du programme Tigre. Voir les bases de cet accord.

 

La mise en place des fondations : les travaux jusqu’à la mise en série : 1987-1999

Dès la signature de l’accord, l’agence exécutive met en œuvre les dispositions de l’avenant et prépare les contrats et spécifications correspondant aux nouvelles configurations des versions. Elle passe dans un premier temps deux contrats préliminaires (avec MBB et MTR) pour couvrir les nouveaux travaux de l’industrie, qui commencent début 1988.

Entretemps, après une longue investigation, le programme adopte le nom de Tigre/Tiger en 1987. L’armée de Terre française avait appelé « Gerfaut » la version HAP, dénomination qui n’a pas été conservée.

Une nouvelle organisation : le bureau de programme

En parallèle, la démarche de préparation de l’installation du futur bureau de programme bilatéral, le DFHB [8], commence. Il s’agit dans un premier temps de définir sa composition, ses modes de fonctionnement, mais aussi de préparer les dispositions pratiques permettant d’accueillir une équipe conséquente.

La partie théorique de l’exercice n’est pas si difficile car on dispose déjà de modèles d’organisation de bureaux de programmes internationaux, par exemple dans le cadre des programmes de missiles antichars. La difficulté va être de concilier les positions sur la taille de cet organisme. Le modèle allemand était du type bureau de programme Tornado, c'est-à-dire de la classe 120 personnes. Le modèle français, était plutôt dans la classe 20 personnes !

La négociation a donc été difficile, mais constructive et cordiale. Il n’a pas été possible de mettre en place le bureau de programme dès la fin de 1988, mais un résultat satisfaisant a été obtenu, sur la base d’un compromis au niveau d'environ 50 personnes.

Sur le plan pratique, le bureau a été installé, tout à fait confortablement, à Coblence ,au bord du Rhin, dans une dépendance du BWB (le « Schloss »). C’est en fait une entorse au MOU qui prévoyait son installation à Munich.

Dans sa version initiale, le bureau était constitué essentiellement d’ingénieurs ou cadres administratifs français et allemands de façon complètement paritaire. C'est-à-dire que pour chaque grande spécialité, le moteur par exemple, il y avait un ingénieur allemand et un ingénieur français. Et au niveau de la direction, on trouvait deux co-directeurs qui avaient pratiquement les mêmes prérogatives (il fallait la double signature en général).

Contrairement à ce qu’on craignait en France avant cette mise en place, compte tenu de la localisation à Coblence, il n’a pas été difficile de pourvoir les postes offerts au personnel français. Le recrutement de la vingtaine d’ingénieurs et cadres s’est faite dans de bonnes conditions. Chaque poste faisait l’objet, en moyenne, de trois candidatures. On a pu ainsi mettre en place une équipe française de bon niveau. L’attrait de la rémunération, le prestige grandissant d’un programme réputé « majeur » et l’intérêt de l’international ont été déterminants.

Côté français, c’est Denys Caraux qui a été désigné comme co-directeur français du bureau de programme. Il s’est installé à Coblence avec une partie de l’équipe au 2ème trimestre 1989, ce qui a permis une mise en place officielle du « DFHB » le 1er juin 1989 et le bureau a été progressivement complété dans l’année qui a suivi.

Du côté allemand, c’est le directeur de l’équipe nationale M.Ickenroth qui a été désigné comme co-directeur, son adjoint, Wolfgang Brühmann, devenant chef de l’équipe nationale du PAH2 au BWB. La partie allemande du bureau de programme a paradoxalement été plus difficile à constituer, car il n’y avait aucun attrait particulier pour ces postes dans un bureau de programme détaché de la maison mère BWB. Les spécialistes du PAH2 préféraient rester dans l’équipe nationale.

Le bureau de programme avait désormais la main sur toutes les questions bilatérales du programme, mais c’est le BWB, agence contractante dotée de la personnalité juridique, qui signait les contrats. On verra que ce point n’a pas été un inconvénient.

La mise en place d’Eurocopter/GmbH

L’industrie se dote d’une organisation paritaire installée à Munich : la société de droit allemand Eurocopter/GmbH. Dirigée par deux co-directeurs (Dieter Halff et Michel Darrieus), elle est constituée d’une équipe légère qui est l’interlocuteur de l’agence exécutive puis du bureau de programme. Elle prépare les contrats, redistribue les tâches vers les deux divisions hélicoptères de MBB et AS et pilote les travaux.

Le contrat global de développement

Des contrats préliminaires de développement avaient été mis en place par l’agence exécutive avec l’hélicoptériste et le motoriste pour couvrir les travaux de l’industrie pendant les premiers mois en attendant de disposer de l’ensemble des spécifications et clauses nécessaires à la conclusion de contrats véritablement engageants sur les résultats complets du développement.

Le bureau de programme avait pour tâche de préparer un contrat qui devait engager fermement l’industrie sur des résultats précis garantissant l’efficacité des systèmes d’armes et sur les prestations que les États étaient en droit d’attendre à la fin d’un développement. Plus précisément, il s’agissait de préparer deux contrats principaux, le premier avec Eurocopter pour tous les travaux relatifs à l’hélicoptère et aux intégrations des systèmes d’armes, l’autre avec MTR pour le développement du moteur. En parallèle, chaque État conduisait, sur un plan national, les développements d’équipements spécifiques nationaux, en particulier, pour la France, les armements et la conduite de tir de la version HAP, et les moyens de communication.

Le bureau de programme s’est avéré, vu des services officiels, très efficace pour mettre en œuvre les « solides » méthodes de management préconisées par le BWB, en associant l’expertise technique des ingénieurs français et l’expertise juridique et administrative des ingénieurs et cadres allemands. Il a établi un contrat global de développement forfaitaire pour toute la durée du développement, avec 111 étapes-clés de paiement, c'est-à-dire une par mois en moyenne, chacune prévoyant des résultats tangibles. Ce contrat s’est avéré efficace et a été une réussite puisque les résultats escomptés ont été obtenus, et au prix fixé à l’origine. Les délais n’ont pas été tenus, ce qui a bien arrangé les États, qui étaient bien incapables de financer les travaux dans le calendrier convenu et qui ont eu quelques états d’âme à plusieurs reprises, comme on le verra plus loin. Le caractère extrêmement lourd de ce contrat, suivi par les juristes avec une très grande rigueur, n’a cependant pas été préjudiciable au programme.

Il est important de noter que ces contrats globaux, préparés et suivis par l’agence exécutive puis le bureau de programme, ne représentaient qu’une partie de l’ensemble des contrats (certes prépondérante) du programme, et que les services nationaux de la DGA, et dans une moindre mesure du BWB, avaient fort à faire pour le développement des équipements de mission (HAP).

Les difficultés techniques 1989-1991

Les premières années du développement ont été marquées par des difficultés techniques importantes dans la mise au point des systèmes et leur intégration. Elles ont induit des retards significatifs, qui ont amené le comité directeur à entériner dès fin 1991 un décalage de deux ans du programme, portant les dates prévisibles de série à 1999 pour l’HAP et le PAH2, et 2003 pour le HAC.

Ces décalages n’étaient pas seulement liés aux difficultés techniques. L’Allemagne, après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de L’URSS, ne pouvait que s’interroger sur l’avenir d’un hélicoptère spécialisé destiné à lutter contre les chars du Pacte de Varsovie. Mais les décisions n’étaient pas encore prises et un décalage de calendrier arrangeait beaucoup de monde.

Le développement de l’hélicoptère en tant que véhicule ne suscitait pas de difficultés majeures. Le premier vol a eu lieu le 27 avril 1991 (en avance sur le calendrier de 1987). Cinq prototypes ont été construits pour le développement des différentes versions.

Le déroulement du développement

Au-delà des retards d’ordre technique liés aux intégrations de systèmes novateurs et complexes, le développement a atteint globalement les objectifs techniques attendus.

Un challenge était apparu compte tenu de la longueur du développement (accrue par la lourdeur d’un programme en coopération) : la nécessité de corriger les obsolescences. Un soin particulier a donc été mis par l’ensemble des participants pour adapter progressivement la définition des systèmes à l’évolution de la menace et l’évolution des technologies. Les spécifications et les contrats ont donc été adaptés tout au long du développement, sans toutefois modifier de façon significative les bases du programme.

À côté du développement du programme franco-allemand proprement-dit, il ne faut pas oublier le développement des versions export. Eurocopter, soutenu par la DGA et les armées, a toujours fait, depuis l’origine, des efforts importants pour exporter le Tigre. Il a notamment étudié une version spécifique pour répondre aux besoins exprimés par la défense australienne et une campagne de démonstration a ainsi été organisée en Australie en 1998 avec un prototype HAP (prototype PT4). Elle s’est malheureusement terminée par le crash du prototype, mais les deux pilotes sont sortis indemnes. Une commission d’enquête a été constituée, présidée par François Flori. Elle a établi que l’appareil n’était pas en cause. Paradoxalement, cet événement a permis de démontrer l’excellente résistance au crash de la cellule. Le Tigre a finalement été le gagnant de l’appel d’offres australien.

L’industrialisation

Les méthodes de gestion appliquées au programme Tigre, héritées des méthodes américaines, prévoyaient un découpage différent entre les stades de « développement » et de « production ». Le développement incluait une partie de « Serienreifmachung », qui était pour la France normalement dans l’industrialisation, ainsi qu’une partie de préparation au soutien. C’est un acquis de la coopération d’avoir fait du Tigre le premier programme (pour la France) à avoir été développé en appliquant le concept de « soutien logistique intégré » (SLI).

La préparation de l’industrialisation avait commencé dès 1993. Pour les États, un MOU devait être établi, comme pour le développement. La négociation entre les États ne posa pas de difficulté majeure. En revanche, les dispositions financières nécessitèrent une négociation serrée avec l’industrie, pour le cadrage des prix de production.

Ainsi, un séminaire fut organisé, comme pour la phase de développement, entre les représentants du comité directeur et les directions des maîtres d’œuvres industriels, pour la phase finale de négociation.

Ce séminaire eut lieu cette fois en Bavière en mars 1995. Il permit de fixer les coûts d’industrialisation et, également, de définir des prix de série plafond pour les différentes versions. Le MOU d’industrialisation fut signé le 30 juin 1995. On verra qu’en raison des remises en cause du fait des États, les contrats correspondants ne seront signés qu’un an et demi plus tard. [Photo]

Les réorientations du programme dans l’après-guerre froide, à partir de 1993

Du côté allemand, l’effondrement de l’URSS mettait en cause l’existence même du programme PAH2.

Du côté français, c’est plus globalement la diminution des budgets de défense, avec les lois de programmation militaires (LPM) successives de 1995 et 1997, qui mettait en danger le programme.

Le nouveau besoin allemand – UHU (devenu UHT) multirôle

Désormais, l’Allemagne ne pouvait plus justifier un programme qui n’avait de sens que dans le contexte géostratégique de la guerre froide. Après une période d’attente et de réflexions purement internes (1989-1992), elle dévoila au début de 1993 son nouveau concept d’hélicoptère multirôle désigné « UHU[9] » puis « UHT[10] » dérivé de l’ancien « PAH2 », qui, par des aménagements techniques limités, a rendu le programme plus conforme au contexte opérationnel. En réalité, les aménagements retenus (mitrailleuse en pod) ne lui conféraient qu’une capacité limitée pour les missions autres que l’antichar, mais ont suffi pour rendre son existence justifiable.

À l’occasion de cette modification du programme, le côté français en profita pour modifier la cible affichée pour la production, ou plutôt sa répartition : 115 HAP + 100 HAC au-lieu de 75 +140. Enfin, les deux pays, qui n’osaient pas encore annoncer des réductions de cible, se sont également accordés pour diminuer les cadences de production envisagées.

La première remise en cause des budgets en France (1994)

L’effet « chute du mur de Berlin » se fit sentir en France en 1994, à l’occasion de la préparation de la loi de programmation 1995-2000.

Les restrictions budgétaires drastiques imposées au budget de la défense français ont abouti à un étalement du programme, qui fut décidé en octobre 1994. L’HAP était repoussé à 2001 et l’HAC à 2007.

Au même moment, la RFA s’alignait à 2001 pour la première livraison de l’UHT (au lieu de 1999).

Il faut noter que la préparation de l’industrialisation était bien entamée lors de ces événements, puisque l’objectif était à l’époque de la démarrer mi-1995.

La deuxième remise en cause des budgets en France (1995-1996)

Le MOU d’industrialisation fraichement signé (30 juin 1995), la France remet aussitôt en cause son engagement, à la faveur des nouveaux réaménagements budgétaires. Elle demande, en décembre 1995, de surseoir au lancement de l’industrialisation. Puis, en mai 1996, elle définit un nouveau calendrier de livraison : à partir de 2003 pour l’HAP et 2011 pour l’HAC, en réduisant les cadences à moins de dix par an en moyenne. Quelques mois plus tard, en juillet 1997, c’est l’Allemagne qui réduit ses cadences de la même façon, mais sans changer le début de livraison (2001). La LPM 1997-2002 officialise pour la France ce nouveau calendrier.

Ce n’est que fin 1996 qu’un accord est trouvé pour lancer l’industrialisation, le contrat étant finalement signé le 20 juin 1997.

En définitive, les remises en cause des budgets auront amené à une réduction drastique de financement entre les années 1994 et 1997.

Les remises en cause des cibles

Depuis l’origine du programme, la « cible » officielle était de 212 PAH2 et de 215 HAP-HAC. Cette parité faisait partie des dogmes du programme et malheur à celui qui oserait avouer le premier qu’il aurait quelque peine à remplir cet objectif. Il en allait du partage du travail et de la responsabilité de la conduite du programme. En même temps, chacun était bien conscient que cette cible était intenable dès le début.

Cette question devint importante lorsqu’il fallut préparer la production. Il s’agissait de préparer un outil de production qui ne serait plus établi sur la base de 450 appareils environ, mais plutôt sur la moitié, et de définir les prix de série en conséquence. La situation se débloqua à partir du moment où les deux principes suivants ont été adoptés : une commande par les deux États d’une « première » tranche de 160 hélicoptères (80 Fr + 80 RFA), avec des calendriers et cadences voisins.

Ainsi, dès 1996, tout se préparait sur la base de la commande de cette 1ère tranche de 160 appareils, même si, officiellement, on continuait à se référer à des prix moyens de série calculés sur une hypothétique série de 212+215.

Existe-t-il une justification opérationnelle du chiffre de 80 pour chacune des armées française ou allemande ? Il semble que ces chiffres n’aient été déterminés que par la ressource financière…

Le nouveau concept français : le HAD

Enfin, compte tenu notamment de l’évolution du programme AC3G, l’armée de Terre a été amenée à mettre à jour son concept et à introduire une unique version « HAD » réellement multirôle, dérivée des précédentes. Ce concept a été défini en février 2001 et il a fait l’objet d’une fiche de caractéristique militaire officielle en décembre 2003. Le missile AC3G a été abandonné par la France et remplacé par une version du missile US Hellfire.

L’évolution des technologies et ces choix sur la mission antichar ont ainsi permis de réaliser une version multirôle ayant des performances satisfaisantes. Cet abandon par la France du missile AC3G a fait de la RFA le seul client de ce qui restait du programme AC3G. Jusqu’à cette période, Français et Allemands du Tigre étaient restés solidaires dans le soutien de cet armement qui était, à l’origine, le fondement même du programme. Les autres clients potentiels du missile (véhicules terrestres) avaient renoncé après l’effondrement de l’URSS.

L’armée de Terre française se dote ainsi de deux versions dans un premier temps : l’une purement HAP et l’autre multirôle (deux fois quarante appareils), et dans un deuxième temps d’une seule version en transformant les HAP en HAD.

L’élargissement du programme

De nombreuses démarches ont été réalisées, dès l’origine, pour étendre la coopération à d’autres pays ou pour exporter le Tigre, notamment avec la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Turquie, et même le Japon. L’Espagne, après plusieurs années de discussion, a rejoint le programme en participant à l’OCCAR en 2004 et a commandé vingt-quatre hélicoptères (18 HAD et 6 HAP qui seront « rétrofités » en version HAD). Par ailleurs, Eurocopter a exporté 22 Tigre ARH (Armed Reconnaissance Helicopter, version proche de l’HAD) à l’Australie.

Les évolutions d’organisation

Les instances étatiques et, sans doute encore plus, le paysage industriel ont beaucoup évolué tout au long du programme.

Pour l’organisation étatique, l’évolution du bureau de programme est révélatrice de l’évolution de l’esprit de coopération. Dans un premier temps, le bureau était bilatéral à tous les niveaux : une double direction franco-allemande et une double expertise franco-allemande dans tous les domaines (création du DFHB en 1989) ; dans un deuxième temps, la double direction a été transformée en direction unique (alternée) avec une répartition des expertises (française ou allemande) suivant le domaine ; enfin, dans un troisième temps, l’attribution des postes d’experts s’est faite sur les seules compétences, indépendamment de la nationalité. Ces dernières évolutions ont été favorisées par le passage sous statut OCCAR, en 1998.

Pour l’organisation industrielle, l’évolution majeure a été la création d’Eurocopter en 1992 [voir Genèse d’Eurocopter]. Cette évolution dépasse largement le cadre de l’histoire du Tigre. Néanmoins, les différentes organisations imaginées et mises en place pour le Tigre à partir de 1989 ont permis d’expérimenter et de mettre à l’épreuve les principes d’organisation et les modes de travail au quotidien des ingénieurs et cadres français et allemands. Ce travail de répartition des tâches et de fusionnement des responsabilités a également été laborieux et n’est sans doute pas encore complètement abouti.

La série et le soutien

Partant des dispositions du MOU d’industrialisation de 1995, notamment des prix plafond et des projets d’acquisition par les États d’une tranche de 2 x 80 hélicoptères, un MOU de série a été préparé. Il a été signé le 20 mai 1998. Et le contrat a été signé le 18 juin 1999.

Des difficultés ont encore été rencontrées pour la qualification des versions et dans la mise au point des premiers appareils. Les premiers appareils ont été livrés à la France en 2004/2005 en version HAP (le 1er avril 2004 au CEV et le 16 mars 2005 à l’armée de Terre) et à l’Allemagne (en version UHT rebaptisée KHS). Les versions HAD sont livrées à partir de 2012.

La première capacité opérationnelle du système d’arme Tigre a été reconnue par l’armée de Terre le 18 mai 2009. Des Tigre HAP du 5e RHC ont été déployés en Afghanistan le 27 juillet 2009 (quatre début mai 2012). Ultérieurement, des Tigre UHT y ont également été déployés. Deux Tigre HAP ont été déployés en 2011 sur les bâtiments de projection et de commandement (BPC) Tonnerre et Mistral pendant l’opération Harmattan (Libye).

Le programme, y compris le soutien en service, est géré depuis 1998 par la division de programme Tigre de l’OCCAR implantée à Bonn (Allemagne). Les sous-ensembles nationaux spécifiques français et allemands sont gérés respectivement par la direction générale de l'armement (DGA) et par le Bundesamt für Wehrtechnik und Beschaffung (BWB).

L’Allemagne a commandé 57 hélicoptères UHT. La France a commandé 71 hélicoptères HAD. L’Espagne a commandé 24 hélicoptères (18 HAD et 6 HAP qui seront rétrofités en version HAD). En 2001, l’Australie a commandé 22 Tigre dans la version ARH, proche de la version HAP.

Éléments fondamentaux du projet attaché au MOU de développement du 29 mai 1984

  • Trois versions : HAP-PAH2-HAC.
  • Une version de base commune pour le véhicule : classe 5,4 t, bimoteur 2x950 kW, cockpit tandem, train classique, rotor principal rigide, rotor arrière classique.
  • Une avionique (fortement numérisée) commune.
  • Le TADS-PNVS (US) de base pour le PAH2 allemand (en viseur de nez).
  • Le système AC3G avec viseur de mât pour la version HAC.
  • Le système d’appui-protection tourelle-canon, Mistral, roquettes pour l’HAP (viseur de toit).
  • La position différente des viseurs entraînait une disposition différente de l'équipage : tireur devant, pilote derrière pour le PAH2, l'inverse pour l'HAP et l’HAC.

Une des clauses essentielles du MOU était le cadrage technico-financier. L’Allemagne avait demandé une clause financière plafond imposant une renégociation ou la recherche d’autres partenaires en cas de dépassement prévisible des budgets. Un prix plafond pour le développement avait donc été fixé. En même temps, la priorité était donnée par le côté allemand au respect des exigences techniques, alors que la priorité du côté français était donnée à la maîtrise des coûts.

Éléments fondamentaux de l’avenant au MOU de développement (13 novembre 1987)

  • Deux versions : appui-protection HAP pour la France et antichar commune PAH2/HAC.
  • Le système antichar AC3G de base pour le PAH2/HAC (en viseur de mât).
  • Mise en place d’un bureau de programme bilatéral avant fin 1988.
  • Désignation de Eurocopter GmbH comme maître d’œuvre industriel du programme (partie hélicoptère) et de MTM pour le moteur (MTU + Turbomeca) qui deviendra plus tard MTR avec Rolls Royce.
  • Une clause de plafonnement pour le financement des coûts de développement :
  • payés par les États jusqu’à un certain seuil (objectif) ;
  • partagés entre les États et l’industrie dans une tranche objectif-plafond ;
  • payés par l’industrie au-delà du plafond.
  • Un prix plafond de série pour le moteur; seulement des prix de série « objectifs » pour la production.

 

[1] Un des trois directeurs de programme de l’époque à la DCAé, précurseurs des DPs actuels, avec Yves Michot (Mirage 2000) et Gérard Bonnevalle (ATL).
[2] Service technique de l’aéronautique.
[3] Jumelles de vision nocturne.
[4] Memorandum of Understanding = protocole d’accord.
[5] Bundesamt für Wehrtechnik und Beschaffung.
[6] Directeur national de l’armement.
[7] Direction des relations internationales de la DGA.
[8] Deutch-französiches Hubschrauber Büro.
[9] Unterstützung Hubschrauber.
[10] Unterstützung Hubschrauber Tiger.